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extatiques ; elle se confessait et communiait chaque dimanche et parfois même plus souvent ; elle se mit à porter autour du cou, en guise de cilice, un chapelet de filigrane qui l’écorchait jusqu’au sang. « Je sentais, dit-elle la fraîcheur des gouttes de mon sang. « Je sentais, d’une douleur, c’était une sensation agréable. Enfin je vivais dans l’extase, mon corps était insensible, il n’existait plus. La pensée prenait un développement insolite et impossible. Était-ce même la pensée ? Non, les mystiques ne pensent pas. Ils rêvent sans cesse, ils contemplent, ils aspirent, ils brûlent, ils se consument comme des lampes et ils ne sauraient se rendre compte de ce mode d’existence qui est tout spécial et ne peut se comparer à rien[1]. » Peu à peu elle arriva ainsi à l’idée de se consacrer à Dieu et de prendre le voile. Si, déjà avant sa conversion, la vie de couvent, calme, paisible, en société de femmes douces, dépourvues de passions, lui avait paru un paradis sur la terre, en comparaison de sa vie pénible, triste et agitée, grâce à l’amour déraisonnable de ses deux mères et à leur inimitié réciproque, — à plus forte raison, maintenant ; elle n’eut plus qu’une pensée, passer le reste de ses jours dans le cloître, loin du monde et de ses passions égoïstes, loin de tout intérêt bas et personnel, entourée de personnes entièrement dévouées à Dieu. Poussée par ces sentiments chrétiens, elle s’était liée d’amitié avec les sœurs converses les plus humbles, chargées des emplois les plus inférieurs ; elle s’acquittait pour elles des travaux les plus grossiers et les plus malpropres, trouvant une consolation dans ce rapprochement avec ces pauvres servantes du Seigneur. Ou bien encore elle passait des heures entières avec les plus petites

  1. Histoire de ma Vie, t. III. p. 196-197.