Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grandir de jour en jour, conseilla à la fillette d’aller demander pardon à sa bonne maman. Aurore s’empressa de suivre ce conseil et, tombant à genoux, sincèrement repentante, devant sa grand’mère attristée et malade, elle lui baisa tendrement la main. La vieille dame, tout en voulant le bien de l’enfant, commit une faute énorme et irréparable. Elle était effrayée de voir que tous ses efforts pour faire d’Aurore une jeune fille raisonnable n’aboutissaient qu’à des résultats tout contraires, que la jeune rebelle lui échappait de plus en plus. Elle se persuada qu’avec ces tendances et ces dispositions l’enfant finirait par se perdre, que le sort qui l’attendait ne pouvait être que malheureux si on la remettait effectivement entre les mains d’une mère fantasque et frivole, et elle se décida à recourir à un dernier et héroïque moyen. Elle voulut préserver l’enfant du malheur qu’elle sentait menaçant ; elle lui révéla sans rien dissimuler, le passé de sa mère et lui mit devant les yeux, les dangers que lui ménageait une existence commune. Sophie-Antoinette et Marie-Aurore avaient déjà commis bien des fautes et causé bien du mal par leur amour déraisonnable et leur animosité réciproque, mais cette dernière faute fut la plus terrible de toutes ; elle gâta tout. Le sentiment filial d’Aurore fut outrageusement insulté, son âme enfantine fut épouvantée et souillée par des propos et des pensées que ses innocentes oreilles n’eussent jamais dû entendre, sa fierté filiale fut humiliée. L’horreur et le chagrin qu’elle en ressentit furent si profonds, qu’elle en parut d’abord comme pétrifiée. Dès ce moment elle vécut machinalement, perdit le goût de vivre. De longues journées s’écoulèrent ainsi. Puis, ce désespoir prit un autre caractère. Aurore devint tout à coup ce qu’on appelle un « enfant terrible ». Son air provocant