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plus longues, les deux plus rêveuses, les deux plus mélancoliques années qu’il y eût encore eues dans ma vie… »

De 1815 à 1817, Aurore vécut en effet à Nohant dans une solitude et un calme absolus, entre sa grand’mère, à moitié infirme, et le pédant Deschartres, devenu grognon. Elle avait avec celui-ci moins de rapports qu’auparavant, ayant elle-même interrompu ses leçons de latin ; il s’était avisé un jour de lui jeter un livre à la tête et elle lui déclara froidement qu’elle ne supporterait plus ses corrections. Elle eut dès lors plus de temps qu’il ne lui en fallait pour se livrer à ses tristes réflexions et à ses lectures solitaires, qui devinrent aussitôt sa passion dominante. À vivre dans la liberté des champs, Aurore avait vite grandi et à douze ou treize ans paraissait déjà presque une jeune fille. Au fur et à mesure qu’elle se développait physiquement, elle sentait s’éveiller en elle un vif besoin d’activité et d’exercices violents. Elle ne tenait plus en place. Souvent, au beau milieu d’une lecture, sans même refermer le livre commencé, elle sautait brusquement par la fenêtre, se sauvait au jardin où dans les champs, passait des journées entières au grand air, sans céder le pas aux gamins du village dans leurs gambades les plus folles, franchissant, comme eux, fossés et ruisseaux, prenant part à leurs entreprises les plus périlleuses et encourant de plus en plus souvent les reproches de Rose pour des robes déchirées ou abîmées et les observations de l’aïeule pour ces disparitions par trop prolongées. Et puis, tout à coup, la soif de s’instruire, soif que sa grand’mère avait su, malgré tout, inspirer à sa tête rebelle, ramenait Aurore aux livres. Son cerveau, autrefois si indifférent aux études, cherchait sa nourriture dans la lecture. Alors, on ne pouvait pas plus arracher la jeune fille à sa chambre et à ses bouquins