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matière. Corambé revêtait, au gré de sa créatrice, tous les aspects, devenait, tour à tour, homme ou femme, ou pour mieux dire, n’avait aucun sexe. Corambé était le défenseur des faibles, des opprimés, volait en un clin d’œil, partout où l’on avait besoin de son secours, était toute bonté, miséricorde et amour. Dans les innombrables chants de ce poème sans fin, Corambé se trouvait, à chaque instant, entouré de nouveaux personnages, le plus souvent beaux et vertueux, à qui il offrait soutien et conseils ; les êtres mauvais accomplissaient comme dans l’ombre leurs faits et gestes astucieux et pervers, mais Corambé réparait tout, effaçant aussitôt jusqu’aux traces de leur conduite criminelle. Pour que la trop grande perfection de Corambé n’éclipsât pas complètement ceux qui approchaient de lui, Aurore s’avisa de l’atténuer un peu en lui attribuant un petit défaut. Et c’est un trait caractéristique, pour la future George Sand, que le défaut qu’elle donna à sa divinité : c’était un excès de bonté, bonté allant jusqu’à la faiblesse ! Aurore vivait des journées entières au milieu de ses rêveries, imaginant chant sur chant, créant « livre sur livre » pour cette interminable épopée, qui d’ailleurs ne vit point le jour. La petite rêveuse n’interrompait presque jamais ses entretiens imaginaires avec Corambé, soit qu’elle se sauvât dans les champs pour rejoindre ses petites compagnes villageoises, soit qu’elle se promenât avec Liset, un petit paysan qu’elle avait pris en amitié, parce qu’il s’était montré chagriné du départ de Mme Sophie, de Nohant. Elle en arrivait parfois à prendre ses amies, Marie et Solange, pour des nymphes venues, sous forme humaine, préparer la demeure terrestre de Corambé. Un beau jour, comme l’avait fait Gœthe enfant, Aurore érigea même un petit temple à sa divinité. Elle appropria une clairière sous des