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oreilles d’une fillette de huit à dix ans n’auraient pas dû entendre. Le surlendemain, rentrée dans le salon de sa grand’mère, Aurore ne se contentait plus, comme auparavant, de s’approprier inconsciemment le ton, les manières, l’allure de ces beautés d’autrefois et de ces beaux esprits de la cour des Bourbons ; elle les observait et les écoutait avec un esprit critique dont elle avait pleine conscience. Bientôt elle se mit à les imiter devant sa mère sans que celle-ci songeât à l’arrêter. Et pourtant, ces figures de l’ancien régime se gravèrent dans sa mémoire et dans son imagination. Instinctivement, elle s’appropriait l’aisance distinguée de leurs manières, le ton d’aimable condescendance du vrai grand monde, la faculté de ne jamais se donner un démenti en aucune circonstance. Et, en même temps, elle se rendait bien compte de leurs vices, de leurs défauts, de leurs faiblesses ; elle s’ennuyait dans la société de ces gens inoccupés, épaves d’une vie disparue, et elle se moquait d’eux. Les conséquences de ce dédoublement se reflétèrent plus tard sur elle et sur ses œuvres.

Un vieil ami de George Sand, qui l’a connue pendant les quinze dernières années de sa vie, nous disait un jour que George Sand avait beau se montrer démocrate dans ses allures et dans ses convictions, il arrivait parfois, comme malgré elle, et le plus souvent avec une relation de fraîche date ou avec une personne importune, que l’aristocrate se révélait en elle, et elle « savait si bien faire sa grande dame » qu’elle inspirait un respect involontaire et instinctif aux visiteurs les plus suffisants et les plus intrépides. Elle garda cette habitude jusqu’à sa mort. Elle transmit ces mêmes airs de « grande dame » à sa fille Solange, comme elle le dit à plusieurs reprises dans certaines de ses lettres déjà