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abrégé de mythologie et même les romans de Mme  de Genlis. Pour cette dernière, du reste, c’était Sophie-Antoinette qui lui en faisait le plus souvent la lecture. La fillette écoutait, assise auprès de la cheminée, aux pieds de sa mère, les yeux fixés sur un écran vert sur lequel la lueur vacillante du loyer projetait des ombres capricieuses. Aurore regardait tour à tour l’écran et le feu ; il lui semblait voir des châteaux fantastiques, des roses d’or, des êtres bizarres, variant d’aspect à chaque écroulement des tisons, à chaque vacillement des ombres. En général, l’imagination du futur écrivain se manifesta d’une façon étonnante pendant les années dont nous parlons. Tantôt il lui semblait que la nymphe et la bacchante des tentures s’animaient et se mettaient à courir sur la corniche jusqu’à son lit, pour l’effrayer et disparaître ensuite. D’autres fois, elle passait ses journées à rêver au Prince Charmant, aux fées, aux génies, à l’existence desquels elle croyait et dont elle attendait l’arrivée. Sa grand’mère, — admiratrice de Voltaire, — ne voyait pas avec plaisir ce développement de l’imagination chez l’enfant. Mais Sophie-Antoinette, comme nous l’avons dit, comprenait d’instinct que l’élément fantastique est le propre de l’âme enfantine ; aussi, ne se bornait-elle pas à lire ou à raconter des contes aux enfants, elle s’associait encore aux petites entreprises d’Aurore, qui manifestait un amour évident pour tout ce qui était mystérieux. Un jour Sophie surprit sa fille occupée avec Ursule, à construire on ne sait quel édifice féerique à l’aide de cailloux et de coquillages. Sophie s’intéressa aux vaines tentatives de la fillette pour créer quelque chose de beau qui ne ressemblât en rien à la banale réalité ; elle se mit à l’œuvre sans perdre de temps, disposa une petite grotte, l’orna de mousse, de lierres, de fleurs, de coquillages et de petits cailloux roses