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à soigner la fillette avec une tendresse toute maternelle, la mère ayant besoin de repos. Les revers, les voyages, les contes avaient pris fin, et dans le calme du vieux Nohant, une paisible vie nouvelle commençait, promettant d’être heureuse.

Mais des malheurs ne tardèrent pas à fondre sur la petite famille, et l’on s’aperçut bientôt que la vie à Nohant ne serait ni paisible ni heureuse. D’abord le petit frère aveugle d’Aurore mourut, probablement de faiblesse et par suite de l’excès de fatigue du voyage. Peu de temps après, Maurice Dupin, après une petite scène de famille, parti à cheval pour La Châtre où il allait dîner chez de bons amis, fut, la nuit même, désarçonné à son retour par son cheval ombrageux, précipité sur un tas de pierres et tué dans sa chute.

La petite Aurore ne pouvait comprendre l’effroyable malheur qui s’était abattu sur elle, mais plus que personne elle eut à subir les conséquences du coup qui venait de frapper si inopinément sa famille. Impossible de dépeindre l’épouvante, l’angoisse et le désespoir des Dupin. Marie-Aurore faillit en perdre la raison. Elle ne put jamais se remettre entièrement de cette secousse, et tout le reste de sa vie fut consacré au souvenir de son fils adoré. Sophie-Antoinette se reprochait amèrement toutes ses jalousies envers son mari. Le vieux Deschartres qui, sous un masque de cuistre cachait le cœur le plus tendre et qui adorait son ancien élève, fut tellement frappé de cette mort que, — comme il l’avoua plus tard à Aurore, — d’athée, il devint croyant. La pensée que Maurice était à jamais perdu pour lui, qu’il ne le reverrait plus, frappait tellement son cœur aimant qu’il commença à croire à l’immortalité de l’âme.

La petite Aurore risquait de s’étioler entre ces trois êtres