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Napoléon passa, et pour le lui faire voir, on éleva la fillette au-dessus de la foule. Napoléon se tourna un instant vers leur groupe, et Aurore aperçut le regard vif, pénétrant, inoubliable de deux yeux admirables. Sa mère s’écria avec enthousiasme : « Il t’a regardée ! » Elle croyait fermement que ce regard portait bonheur. Une autre fois — George Sand se le rappela parfaitement, — comme les enfants jouaient dans le petit jardin de Chaillot, on entendit derrière la haute clôture des acclamations, des piétinements de chevaux, et, quoique invisible, un brillant cortège passa bruyamment. La petite fille qui, du matin au soir, entendait parler du grand homme, devina aussitôt quel était celui que la foule acclamait de l’autre côté de la clôture, car il n’y avait que lui que l’on pût acclamer ainsi ! Ne serait-ce pas dans ces jeux enfantins, parodiant la grandiose épopée, surnommée l’épopée napoléonienne, et dans l’enthousiasme avec lequel tout le monde autour d’Aurore accueillait toute apparition du grand homme et gardait le souvenir de chacun de ses regards et de ces gestes, n’est-ce pas dans cette atmosphère d’adoration pour le petit Corse, qu’il faudrait chercher la source de ces sympathies indubitablement bonapartistes qui, durant toute sa vie, et en dépit des convictions républicaines qu’elle élabora plus tard, couvèrent à son insu dans l’âme de George Sand et se manifestèrent maintes fois à l’égard de différents membres de la famille de Napoléon le Grand ? Comme elle se plaisait à le répéter, George Sand appartenait au peuple par un des côtés de sa nature, et dans beaucoup de ses souvenirs et de ses récits d’alors, on retrouve les échos de cette même légende napoléonienne, toute populaire, que Balzac nous a si chaleureusement et si incomparablement racontée par la bouche du vieux soldat, dans le « Napoléon