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Comme elle le dit elle-même, elle rêvait des heures entières à ce mystérieux « œuf d’argent », dont il est question dans la chanson bien connue que sa mère lui chantait en la berçant. Dans son imagination enfantine, cet œuf était le comble du beau et du désirable.

Telle fut la vie de la petite Aurore dans le modeste appartement de sa mère.

Mais lorsque le jeune aide de camp de Murat arrivait en congé, sans qu’on l’attendît, le logement de la rue de la Grange-Batelière se remplissait bientôt de jeunes gens gais et bruyants. Les officiers chamarrés d’or faisaient sonner leurs éperons, racontaient leurs victoires, les campagnes difficiles auxquelles ils avaient pris part, les traits de bravoure dont ils avaient été témoins, l’héroïsme des soldats, et s’exaltaient surtout en parlant de lui, lui ! l’unique, le Grand ! La fillette écoutait avec ravissement ces échos de la grande épopée, et, en un clin d’œil tous ces récits étaient appliqués à des jeux d’enfant. La petite rêveuse, en compagnie de sa demi-sœur Caroline, de sa cousine Clotilde et d’autres enfants, se mettait à improviser et à mettre en scène tantôt une bataille, tantôt une retraite de nuit dans des lieux effrayants, tantôt une marche forcée à travers des montagnes et des précipices imaginaires. Tout était bon à ces enfants : chaises, armoires, tapis et canapés ; l’appartement s’encombrait de forteresses inexpugnables faites de tables et de commodes, retentissait d’exclamations triomphantes ; et les champs de bataille d’une toise carrée se trouvaient jonchés des cadavres de poupées mises en pièces. Et c’était toujours Aurore elle-même qui représentait Napoléon, le héros de l’époque ; son nom, son image flottait toujours devant elle. Un jour qu’elle se promenait avec sa mère et Pierret,