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à la rêverie, les yeux grands ouverts, restait là des heures entières, se débitant à elle-même des histoires interminables, ou en inventant de véritables épopées, dont elle interprétait, à elle seule, tous les personnages imaginaires et fantastiques. Jamais elle ne s’ennuyait entre ses quatre chaises, si longtemps que sa mère l’y laissât. Elle se racontait des romans d’une longueur démesurée, où elle entremêlait de la façon la plus fantaisiste tout ce que retenait sa mémoire : bribes de contes, de chansons, d’histoires mythologiques. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que déjà, à cette époque, sa mère et sa tante pouvaient constater qu’elle aimait les « longueurs » et que ses héros prononçaient des monologues sans fin. Sa tante lui demandait souvent : « Eh bien, Aurore, est-ce que ton prince n’est pas encore sorti de la forêt ? Ta princesse, aura-t-elle bientôt fini de mettre sa robe à queue et sa couronne d’or ? » Le fond de ces histoires, si toutefois nous en croyons George Sand sur parole, n’est pas moins caractéristique que leur forme, pour le futur grand écrivain. « Il y avait, dit-elle[1], dans les petits romans que je forgeais alors, peu de méchants êtres et jamais de grands malheurs. Tout s’arrangeait sous l’influence d’une pensée riante et optimiste comme l’enfance… » Quand elle en avait assez de ses monologues, Aurore se taisait et se mettait à rêvasser, capable de rester des heures entières sur son tabouret-chaufferette, les yeux fixés sur un seul point et plongée dans une longue méditation. Quelquefois, les autres parents d’Aurore s’alarmaient en surprenant la fillette dans cet état , mais la mère les rassurait en disant : « Laissez-la tranquille, je ne peux travailler en

  1. Histoire de ma Vie, t. II. p. 167.