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Il s’explique ensuite (p. 291-292) sur la différence établie par la Critique entre la sensibilité dans le sens logique et dans le sens transcendantal, de la manière suivante : « Les objets de l’entendement sont inimaginables, ceux de la sensibilité au contraire sont imaginables ; » et il cite d’après Leibniz[1] un exemple de l’éternité, dont nous ne pouvons nous faire aucune image, mais bien une idée intellectuelle, et en même temps aussi l’exemple précédent du chiliogone, dont il dit : « Les sens et l’imagination de l’homme, dans son état présent, ne peuvent se faire aucune image précise qui serve à le distinguer d’un polygone de 999 côtés. »

Or on ne peut désirer une preuve plus claire que celle ici donnée par M. Eberhard, je ne veux pas dire de l’interprétation arbitraire de la Critique, car elle n’est pas à beaucoup près assez spécieuse pour faire illusion à ce point, mais d’une entière ignorance de la question dont il s’agit. Un pentagone est, suivant lui, un être sensible, tandis qu’un chiliogone est déjà un simple être de raison, quelque chose de non sensible (ou, comme il s’exprime, d’inimaginable). Je crains que l’ennéagone ne soit déjà à moitié chemin du

  1. Le lecteur fera bien de ne pas imputer sans examen à Leibniz tout ce que M. Eberhard fait découler de sa doctrine. Leibniz voulait réfuter l’empirisme de Locke. Les exemples pris des mathématiques étaient tout à fait propres à ce dessein, c’est-à-dire à prouver que les dernières connaissances a priori s’étendent beaucoup plus loin que ne peuvent le faire des notions d’origine expérimentale, et de défendre par là l’origine des premières connaissances a priori contre les attaques de Locke. Mais il n’eut jamais la pensée d’affirmer que les objets cessent par là d’être des objets de l’intuition sensible, et supposent comme fondement une autre espèce d’êtres.