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nous élevions au-dessus de toute expérience possible, que nous nous enfoncions dans les seules Idées, nous ne pouvons pas dire que l’objet nous est incompréhensible, et que la nature des choses nous présente des problèmes insolubles, puisque alors nous n’avons pas affaire à la nature ou en général à des objets donnés, mais simplement à des notions qui n’ont leur origine que dans notre raison, et à de simples êtres de raison par rapport auxquels tous les problèmes qui sortent de leurs notions doivent pouvoir être résolus, parce que la raison peut et doit certainement rendre compte de son procédé propre[1].

Puisque les Idées psychologiques, cosmologiques et théologiques ne sont que de pures notions rationnelles, qui ne peuvent être données dans aucune expérience, les questions que la raison nous soumet à leur égard, ne nous sont pas suggérées par les objets, mais pour sa propre satisfaction, et doivent toutes pouvoir être résolues d’une manière suffisante ; ce qui arrive en effet en montrant qu’elles sont des principes destinés à donner à l’usage de l’entendement une clarté par-

  1. M. Platner, dans ses Aphorismes, dit en conséquence avec sagacité, § 728, 729 : « Si la raison est un critérium, il n’y a pas de notion possible qui soit incompréhensible à la raison humaine. Dans le réel seul a lieu l’incompréhensibilité. Elle résulte ici de l’insuffisance des idées acquises. » — Il n’est donc que paradoxal, sans qu’il faille du reste s’en étonner, de dire que beaucoup de choses dans la nature sont incompréhensibles (par exemple la faculté génératrice), mais que si nous nous élevons plus haut encore, et même au-dessus de la nature, tout nous redevient intelligible ; c’est qu’alors nous quittons entièrement les objets qui peuvent nous être donnés, pour ne nous occuper que des Idées, dans lesquelles nous pouvons très bien comprendre la loi que la raison par elles impose à l’entendement pour son usage expérimental, parce que c’est son propre effet.