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PRÉFACE.


juger d’une manière décisive, parce qu’en réalité il n’y a dans ces régions ni poids ni mesures propres à faire distinguer la fondamentalité d’un stérile verbiage.

Il n’est pas non plus sans exemple qu’après avoir longtemps travaillé à une science, et tout en croyant y être très avancé, on se demande enfin si et comment une pareille science est possible. La raison humaine est en effet si portée à la construction, que plus d’une fois après avoir élevé la tour, elle l’a démolie pour s’assurer de l’état des fondements. Il n’est jamais trop tard d’être raisonnable et sage ; mais il est toujours difficile de mettre en mouvement une intelligence qui se révèle tardivement.

Demander si une science est réellement possible, c’est supposer qu’on doute de son existence. Et ce doute blesse tous ceux qui ont peut-être mis tout leur avoir dans ce prétendu trésor. Celui qui l’élève doit donc s’attendre à une résistance universelle. Il en est qui, fiers de leur ancienne possession, et la réputant légitime par le fait, avec leurs cahiers de métaphysique en mains, jetteront sur lui un regard dédaigneux ; d’autres, qui ne voient jamais que ce qui ressemble à ce qui a été vu déjà, ne le comprendront pas, et tout se passera pendant quelque temps comme s’il n’était rien arrivé qui pût faire craindre ou espérer un changement prochain.

Je puis cependant affirmer avec assurance que celui qui lira ces prolégomènes d’une manière réfléchie, non seulement doutera de sa science passée, mais