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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

de la force qu’est l’intention morale, à moins qu’il ne se la figure aux prises avec des obstacles et triomphante malgré tout au milieu des plus grands assauts.

Dans la foi pratique en ce fils de Dieu (que l’on se représente comme ayant adopté la nature humaine) l’homme peut espérer de se rendre agréable à Dieu (et par là de jouir aussi de la béatitude) ; c’est-à-dire que l’homme qui a conscience d’avoir une intention morale telle qu’il lui soit possible de croire, et d’avoir en lui-même une confiance assurée, qu’il resterait, parmi de semblables souffrances et de semblables tentations (qui sont devenues la pierre de touche de cette idée), invariablement attaché à ce modèle de l’humanité et qu’il demeurerait fidèle à suivre son exemple et à lui ressembler, celui-là, et celui-là seul, a le droit de se regarder comme un homme qui n’est pas un objet indigne de la complaisance divine.


b) Réalité objective de cette Idée.


Au point de vue pratique, cette, Idée a sa réalité complètement en elle-même. Car elle est posée dans notre raison moralement législatrice. Notre devoir est de nous conformer à elle, et il nous faut par suite le pouvoir. Que s’il fallait au préalable prouver la possibilité d’être un homme conforme à ce modèle, démarche absolument nécessaire quand il s’agit de concepts physiques (si l’on ne veut pas courir le risque d’être retenu par des concepts vides), nous devrions également hésiter à accorder à la loi morale le droit d’être un principe inconditionné et pourtant suffisant de détermination pour notre libre arbitre ; en effet, comment il se peut que la simple idée d’une conformité à la loi en général puisse être pour le libre arbitre un plus puissant mobile que tons les mobiles imaginables tirés d’avantages à obtenir, c’est ce qui ne peut être ni établi par la raison, ni confirmé par des exemples de l’expérience,