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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON


    que la foi dogmatique, qui se donne pour une science, parait à la raison insincère ou présomptueuse ; écarter en effet les difficultés opposées à ce qui est en soi (d’une façon pratique) fermement établi, quand ces difficultés portent sur des questions transcendantes, c’est tant simplement un hors-d’œuvre (Parergon). Quant au préjudice que ces idées, quelque moralement transcendantes qu’elles soient, causent à la religion lorsqu’on veut les y introduire, il se manifeste dans leurs effets qui sont, suivant l’ordre des quatre classes sus établies : 1o  la prétendue expérience interne (effets de la grâce), ou le fanatisme ; 2o  la soi-disant expérience extérieure (miracles), ou la superstition ; 3o  les lumières extraordinaires que l’on attribue à l’entendement par rapport au surnaturel (mystères), ou l’illuminisme (illusion d’adeptes) ; 4o  les tentatives osées d’agir sur le surnaturel (moyens de la grâce), ou thaumaturgie, purs errements d’une raison sortant de ses limites, et cela dans une intention prétendument morale (agréable à Dieu. — Pour ce qui regarde en particulier la Remarque générale terminant la première partie de cet ouvrage, l’espérance de voir les effets de la grâce répondre à notre appel (die Herbeirufung der Gnadenwirkungen) rentre dans la catégorie de ces errements et ne peut pas être acceptée dans les maximes de la raison, si la raison reste dans ses limites ; on peut en dire autant, d’une manière générale, de ce qui est surnaturel ; car en cela précisément cesse tout usage de la raison. ― En effet, il est impossible, théorétiquement, de dire à quelle marque on peut les reconnaître (et de montrer qu’ils sont les effets de la grâce, non des effets internes de la nature), parce que notre concept de cause et d’effet ne s’applique qu’aux objets de l’expérience et par conséquent ne peut pas dépasser la nature ; quant à supposer une application pratique de cette idée, c’est tout à fait contradictoire. En effet, comme application, elle présupposerait une règle de ce que nous aurions nous-mêmes à faire de bien (à certain point de vue) pour obtenir quelque chose ; tandis qu’attendre un effet de la grâce, c’est tout justement le contraire et cela présuppose que le bien (le bien moral cette fois-ci) ne sera pas notre fait, mais le fait d’un autre être, et que par conséquent nous pouvons l’acquérir par l’inaction seulement, ce qui est contradictoire. Nous pouvons donc admettre les effets de la grâce en les déclarant incompréhensibles, mais sans leur accorder dans nos maximes ni un usage théorique, ni une utilité pratique.