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COEXISTENCE DU MAUVAIS PRINCIPE AVEC LE BON

les maximes de notre libre arbitre, afin de rétablir, dans le respect inconditionné pour la loi, suprême condition de toutes les maximes à adopter, l’ordre moral primitif des mobiles, et de ramener ainsi à sa pureté la disposition au bien dans le cœur de l’homme.

Mais un tel rétablissement opéré par nos propres forces n’a-t-il pas contre lui directement la thèse de la perversité innée de l’homme tenu à l’écart de tout bien ? Incontestablement cette thèse s’oppose à la compréhension d’un pareil rétablissement, c’est-à-dire qu’elle nous empêche d’en bien saisir la possibilité, ainsi que tout ce qui doit être représenté comme événement dans le temps (changement) et, en tant que tel, comme nécessaire suivant les lois de la nature, et dont le contraire pourtant, sous le règne des lois morales, doit être en même temps représenté comme étant possible par liberté ; mais elle ne s’oppose pas à la possibilité de ce rétablissement lui-même. Car du moment que la loi morale commande : « vous devez maintenant être des hommes meilleurs » ; il s’ensuit nécessairement qu’il nous faut aussi le pouvoir. La théorie du mal inné n’a aucun rôle dans la dogmatique morale dont les prescriptions, en effet, portent sur les mêmes devoirs et conservent la même force, qu’il y ait en nous, ou non, un penchant inné à la transgression. Mais cette théorie a une importance plus grande dans l’ascétique morale, où cependant tout son rôle se borne à noues montrer que, dans la mise en œuvre (in der sittlichen Ausbildung) de la disposition morale au bien qui nous est innée, nous ne pouvons pas prendre comme point de départ une innocence naturelle à l’homme, mais qu’il nous faut partir de la supposition d’une méchanceté qui affecte le libre arbitre et lui faire adopter des maximes contraires à la disposition morale primitive, et, puisqu’il y a là un penchant indéracinable, lui faire tout d’abord une guerre incessante. Or, tout ceci peut seule-ment nous amener à une progression indéfinie du mal au