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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

Ce rétablissement n’est donc que la restauration de la pureté du mobile, en qualité de principe suprême de toutes nos maximes ; et d’après cela ce mobile doit être accepté dans le libre arbitre, non seulement avec d’autres mobiles auxquels il se rattache, ou même (s’il s’agit des inclinations) il est subordonné comme à ses conditions, mais dans toute sa pureté, comme un mobile, suffisant par lui-même, de détermination du libre arbitre. Le bien consiste originellement dans la sainteté des maximes qui font accomplir le devoir ; et si l’homme qui accepte dans sa maxime la pureté dont nous parlons n’est point, par cela seul, encore saint lui-même (car la distance est encore grande de la maxime à l’acte), il est cependant, grâce à elle, en voie de s’approcher indéfiniment de la sainteté. La résolution ferme et devenue habituelle d’accomplir son devoir s’appelle aussi vertu, du point de vue de la légalité considérée comme caractère empirique de la vertu (virtus phaenomenon). Cette vertu est caractérisée par la maxime permanente de conformer ses actes à la loi ; mais chacun reste libre de prendre où il voudra les mobiles requis par le libre arbitre en ce but. Conséquemment la vertu ainsi entendue peut être acquise peu à peu, et certains disent même qu’elle est une longue habitude (de l’obéissance à la loi), par laquelle l’homme corrige progressivement sa conduite, s’affermit de plus en plus dans ses maximes et arrive ainsi, du penchant au vice, à un penchant tout opposé. Une transformation semblable n’exige pas un changement de cœur, mais seulement un changement de mœurs. L’homme se trouve vertueux dès qu’il se sent ancré dans les maximes qui font accomplir le devoir, bien que ce ne soit pas le principe suprême de toutes les maximes, je veux dire le devoir, qui le porte à agir ainsi ; ainsi, par exemple, l’intempérant retourne à la modération par souci de sa santé, le menteur à la sincérité par souci de son honneur, le malhonnête homme à la loyauté