Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
47
COEXISTENCE DU MAUVAIS PRINCIPE AVEC LE BON

tion que l’on assure libre un motif suffisant d’imputation. Et quelque mauvais qu’ait été un homme jusqu’au moment où il est sur le point d’accomplir une action libre (même si l'habitude de mal faire était devenue pour lui une seconde nature), non seulement il est constant qu’il a eu pour devoir de s’améliorer, mais il est clair encore que maintenant aussi il est de son devoir de s’améliorer : par conséquent il doit pouvoir agir moralement, et, s’il ne le fait pas, il est aussi coupable et passible d’imputation dans le moment de l’action que si, doué de la disposition naturelle au bien (inséparable de la liberté), il était passé de l’état d’innocence au mal. —— Nous ne pouvons donc pas chercher l’origine temporelle de ce fait, nous devons au contraire nous borner à en rechercher l’origine rationnelle, pour déterminer, d’après elle, et pour expliquer, autant que possible, le penchant, c’est-à-dire le principe universel subjectif qui nous porte à admettre une transgression dans notre maxime.

Là-dessus nous sommes tout à fait d’accord avec la méthode employée par l’Écriture pour nous représenter l’origine du mal comme un commencement du mal, car, dans le récit qu’elle en fait, ce qui est rationnellement premier au point de vue de la nature de la chose (sans s’occuper des conditions de temps), apparaît aussi comme tel au point de vue du temps. D’après l’Écriture, le mal ne tire pas son commencement d’un penchant qui lui servirait de principe (car alors ce commencement ne proviendrait pas de la liberté), mais bien du péché (c’est-à-dire de la transgression de la loi morale conçue comme précepte divin) ; et l’état de l’homme, avant tout penchant au mal, s’appelle l’état d’innocence. L’homme, dans cet état, devait se soumettre à la loi morale, qui s’imposait à lui sous forme de défense (1. Moïse, II, 16, 17), ainsi que l’exige sa condition, car il n’est pas un être pur, mais au contraire un être tenté par des inclinations. Or, au lieu de suivre exac-