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COEXISTENCE DU MAUVAIS PRINCIPE AVEC LE BON

présentation rationnelle, et elle ne peut pas en dériver comme d’un état antérieur ; ce qui, au contraire, doit avoir lieu toutes les fois que l’action mauvaise, comme événement dans le monde, est rapportée à sa cause physique. C’est donc une contradiction que de chercher aux actes libres, en tant que tels, une origine temporelle (exactement comme aux effets d’ordre physique) ; et par suite aussi de chercher l’origine temporelle du caractère (Beschaffenheit) moral de l’homme, en tant que ce caractère est considéré comme contingent, parce qu’il est le fondement de l’usage de la liberté et qu’un tel principe doit être (de même que le principe déterminant du libre arbitre en général) uniquement cherché dans des représentations rationnelles.

Quelle que soit d’ailleurs l’origine du mal moral dans l’homme, on peut cependant soutenir que parmi les façons d’envisager la diffusion du mal et sa propagation à travers tous les membres de notre espèce et dans toutes les générations, la plus maladroite consiste à se représenter le mal comme une chose qui nous vient par héritage de nos premiers parents ; car on peut dire du mal moral ce qu’a dit du bien le poète :

...Genus, et proavos, et quæ non fecimus ipsi,

Vix ea nostra puto[1].

  1. Chacune des trois Facultés appelées supérieures (dans les hautes Etudes) s’expliquerait cet héritage à sa manière, c’est-à-dire en le regardant ou comme une maladie héréditaire : ou comme une dette héréditaire, ou comme un péché héréditaire : 1° La Faculté de médecine se ferait du mal héréditaire une idée analogue en quelque sorte à celle du ver solitaire, au sujet duquel, je n’invente pas (wirklich), certains naturalistes pensent que ne se trouvant pas ailleurs, ni dans un élément extérieur à l’homme, ni dans un autre animal, quel qu’il soit (sous la forme qu’il prend chez nous [in derselben Art]), il devait se trouver déjà dans nos premiers parents ; 2° La Faculté de droit le considérerait comme la conséquence légitime de l’acceptation d’un héritage que nous ont laissé nos premiers parents et qui est chargé d’un lourd passif (naître en effet, ce n’est pas autre chose qu’hériter de l’usage des biens de la terre, en tant que ces biens sont indispensables à notre durée). Nous devons donc payer ces dettes (expier) pour être en fin de compte dé-