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COEXISTENCE DU MAUVAIS PRINCIPE AVEC LE BON

pas eu la part prépondérante, ils échappent heureusement aux mauvaises conséquences, et vont même jusqu’à se faire un mérite de ne pas se sentir coupables des fautes dont ils voient les autres chargés, et cela sans examiner si le mérite n’en revient pas simplement au hasard, ni si la façon de penser qu’ils pourraient bien, s’ils le voulaient, découvrir en eux-mêmes, ne les aurait pas fait tomber dans des vices égaux, au cas où l’impuissance, le tempérament, l’éducation, les circonstances de temps et de lieu qui induisent en tentation (toutes choses qui ne peuvent pas nous être imputées), ne les en auraient pas tenus éloignés. Cette déloyauté avec laquelle on s’aveugle soi-même, et qui fait obstacle à l’établissement de la véritable intention morale en nous, se traduit en outre extérieurement en hypocrisie et en tromperie à l’égard d’autrui ; et si ce n’est pas là ce que l’on doit nommer méchanceté, elle n’en mérite pas moins d’être appelée indignité ; elle a son fondement dans le mal radical de la nature humaine, qui (empêchant le jugement moral de savoir au juste quelle opinion on doit avoir d’un homme et rendant l’imputation tout à fait incertaine intérieurement et extérieurement), est la tache impure de notre espèce, dont la présence, aussi longtemps que nous restons sans nous en défaire, empêche le germe du bien de se développer comme il ne manquerait pas de le faire sans elle.

Un membre du Parlement anglais a proclamé, dans le feu d’une discussion, que tout homme a son prix, pour lequel il se livre. Si cette opinion est vraie (et il appartient à chacun de le décider en lui-même) ; si toute vertu, quelle qu’elle soit, doit céder immanquablement à un degré de tentation qui ait la force de l’abattre ; si pour nous décider à suivre le parti du mauvais ou du bon esprit, tout dépend de savoir quel est celui des deux qui offre davantage et qui paie le plus promptement, il se pourrait que la parole de l’Apôtre fût