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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

qu’elle a faits siens, jointe à l’impureté qui l’empêche de séparer les uns d’avec les autres, d’après une règle morale, les mobiles (même des actes où la fin que l’on vise est bonne), et qui, par suite, tout au plus, lui fait seulement regarder si ces actions sont conformes à la loi, et non si elles en découlent, c’est-à-dire si elles l’ont pour unique mobile. Sans doute, il n’en résulte pas toujours d’action contraire à la loi, ni de penchant à en commettre, penchant que l’on nomme le vice ; mais c’est à tort que l’on verrait dans la seule absence du vice la preuve de la conformité de l’intention avec la loi du devoir (l’équivalent de la vertu), (puisque, en pareil cas, l’attention ne se porte pas sur les mobiles dans la maxime, mais seulement sur l’accomplissement littéral de la loi) ; cette manière de penser doit déjà elle-même être appelée une perversité radicale du cœur humain.

Cette faute (reatus) innée, — ainsi appelée parce qu’elle se fait remarquer à l’instant même où l’usage de la liberté se manifeste dans l’homme, ce qui cependant ne l’empêche pas de découler nécessairement de la liberté et de pouvoir, conséquemment, être imputée, — peut être estimée non-préméditée (culpa) dans ses deux premiers degrés (qui sont la fragilité et l’impureté), tandis que, dans son troisième degré, on doit la qualifier de faute préméditée (dolus) ; et elle a pour caractère une certaine perfidie du cœur humain (dolus malus), qui porte l’homme à se tromper soi-même relativement à ses bonnes ou à ses mauvaises intentions, et, pourvu que ses actes n’aient pas le mal pour conséquence, ― ce qui pourrait fort bien se faire d’après les maximes qu’ils suivent, — à ne pas se mettre en peine au sujet de son intention, mais à se tenir plutôt pour justifié aux yeux de la loi. De là vient que tant d’hommes (qui se croient consciencieux) ont la conscience tranquille, pourvu que, au milieu d’actions pour lesquelles la loi n’a pas été consultée, ou du moins dans lesquelles son avis n’a