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COEXISTENCE DU MAUVAIS PRINCIPE AVEC LE BON

dans les mobiles de l’inclination, sous le nom de bonheur, une unité des maximes qu’ils ne pourraient pas obtenir autrement (la véracité, par exemple, si nous la prenons pour principe, nous affranchit de l’anxiété à laquelle donnent naissance l’obligation où l’on est de mettre d’accord ses mensonges et la crainte que l’on éprouve de se perdre dans leurs replis sinueux) ; en pareil cas, le caractère empirique est bon, mais le caractère intelligible demeure toujours mauvais.

Or, s’il y a, dans la nature humaine, un penchant qui la pousse à procéder ainsi, c’est qu’il y a dans l’homme un penchant naturel au mal ; et ce penchant lui-même est moralement mauvais, puisque, en définitive, c’est dans un libre arbitre qu’il doit être cherché, puisque, par suite, il peut être imputé. C’est un mal radical, parce qu’il pervertit le principe de toutes les maximes et que, d’autre part, en tant que penchant naturel, il ne peut pas être détruit par les forces humaines, pour cette raison que sa destruction ne pourrait qu’être l’œuvre de bonnes maximes et qu’elle est impossible si le principe subjectif suprême de toutes les maximes est présupposé corrompu ; et néanmoins il faut que ce penchant puisse être surmonté, puisque l’homme, en qui il se trouve, est un être libre dans ses actions.

La méchanceté (Bösartigkeit) de la nature humaine n’est donc pas une véritable méchanceté (Bosheit), si l’on prend ce mot dans sa signification rigoureuse où il désigne une intention (principe subjectif des maximes) d’accepter le mal comme tel pour mobile dans sa maxime (car cette intention est diabolique) ; on doit plutôt dire qu’elle est une perversité du cœur, et ce cœur est aussi, par voie de conséquence, nommé un mauvais cœur. Cette perversité peut coexister avec une volonté généralement bonne ; elle provient de la fragilité de la nature humaine, qui n’est pas assez forte pour mettre en pratique les principes