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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

tingue d’une disposition foncière (Anlage) en ce que, s’il peut être inné, il ne doit pas pourtant être représenté comme tel ; il peut au contraire être conçu (s’il est bon) comme acquis, ou (s’il est mauvais) comme contracté par l’homme lui-même. ― Mais il n’est question ici que du penchant à ce qui est le mal à proprement parler, c’est-à-dire le mal moral ; lequel n’étant possible qu’en qualité de détermination du libre arbitre, et ce libre arbitre ne pouvant être jugé bon ou mauvais que d’après ses maximes, doit consister dans le principe subjectif où se fonde la possibilité d’avoir des maximes opposées à la loi morale, et, si l’on a le droit d’admettre ce penchant comme inhérent universellement à l’homme (par conséquent au caractère de l’espèce), pourra être appelé un penchant naturel de l’homme au mal. ― On peut encore ajouter que la capacité du libre arbitre à adopter la loi morale pour maxime, ou son incapacité à l’admettre ainsi, ayant toutes les deux pour cause un penchant naturel, sont appelées le bon cœur ou le mauvais cœur.

On peut, dans le penchant au mal, distinguer trois degrés : c’est, en premier lieu, la faiblesse du cœur humain impuissant à mettre en pratique les maximes adoptées, d’une manière générale, ou la fragilité de la nature humaine ; c’est, en second lieu, le penchant à mêler des mo-


    grossiers ont un penchant pour les choses enivrantes ; car, bien que beaucoup d’entre eux ne connaissent pas l’ivresse et que par conséquent ils n’aient aucun désir des substances qui la produisent, il suffit de leur faire goûter une seule fois à ces choses pour faire naitre en eux un désir d’en user que l’on peut dire inextinguible. Entre le penchant et l’inclination, qui suppose connaissance faite avec l’objet de la convoitise, il y encore l’instinct, qui est le besoin qu’on éprouve de faire quelque chose ou de jouir de quelque chose dont on n’a pas encore de concept (tels l’instinct industrieux chez les animaux, ou l’instinct sexuel). Après l’inclination vient encore un dernier degré du pouvoir d’appétition, la passion (Leidenschaft), et non l’affection (der Affekt), car cette dernière appartient au sentiment de plaisir et de peine, laquelle est une inclination qui exclut tout empire sur soi-même.]