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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON


I. DE LA DISPOSITION ORIGINAIRE AU BIEN DANS LA NATURE HUMAINE.


Relativement à sa fin, nous l’envisageons, comme il est juste, dans trois classes, éléments de la destinée de l’homme :

1. La disposition de l’homme à l’animalité en tant qu’être vivant ;

2. Sa disposition à l’humanité, en tant qu’être vivant et tout ensemble raisonnable ;

3. Sa disposition à la personnalité, en tant qu’être raisonnable et susceptible en même temps d’imputation[1].

1. La disposition à l’animalité dans l’homme peut être rangée sous le titre général de l’amour de soi physique et simplement mécanique, c’est-à-dire tel qu’il n’implique pas de la raison. Elle comporte trois espèces qui nous portent, premièrement, à notre conservation personnelle ;

  1. On ne peut pas regarder la personnalité comme déjà contenue dans le concept de l’humanité ; il faut au contraire l’envisager comme une disposition particulière. En effet, de ce qu’un être est doué de raison, il ne s’ensuit pas que cette raison contienne un pouvoir de déterminer inconditionnellement le libre arbitre par la simple représentation de la qualification, inhérente à ses maximes, d’être une législation universelle, ni par conséquent que cette raison soit pratique par elle-même : autant du moins que nous puissions le voir. L’être le plus raisonnable du monde pourrait toujours avoir besoin, malgré tout, de certains mobiles tirés des objets de l’inclination pour déterminer son libre arbitre ; il pourrait consacrer autant de raison qu’on voudra (die vernünftigste Ueberlegung… anwenden) à réfléchir aussi bien sur ce qui regarde la très grande somme des mobiles que sur les moyens d’atteindre la fin déterminée par ces mobiles, sans même pressentir la possibilité de quelque chose comme la loi morale, loi qui commande absolument et qui se proclame elle-même et, à la vérité, en tant que mobile suprême. Si cette loi ne se trouvait pas donnée en nous, nulle raison ne serait assez fine pour nous la faire découvrir en cette qualité ou pour décider le libre arbitre à l’adopter ; et pourtant cette loi est la seule qui nous donne la conscience de l’indépendance où est notre libre arbitre relativement à la détermination par tous les autres mobiles (la conscience de notre liberté) en même temps que celle de l’imputabilité de tous nos actes.