Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

morale est par elle-même un mobile, au jugement de la raison ; et la prendre pour maxime, c’est être bon moralement. Or lorsque, à l’égard d’une action qui est du ressort de la loi, le libre arbitre d’un agent n’est pourtant pas déterminé par elle, il faut que ce libre arbitre subisse l’influence d’un mobile opposé à la loi ; et comme, d’après l’hypothèse, cela ne peut être possible qu’à la condition pour l’homme d’admettre ce mobile dans sa maxime (et conséquemment de prendre pour règle d’aller contre la loi morale), ce qui fait de lui un homme mauvais, l’intention de l’agent par rapport à la loi morale n’est donc jamais indifférente (et ne peut jamais être ni bonne ni mauvaise).

D’autre part, l’homme ne peut pas être non plus moralement bon sous certains rapports et à la fois mauvais sous d’autres. Car s’il est bon sous un rapport, c’est qu’il a pris la loi morale pour maxime ; s’il devait donc en même temps être mauvais sous un autre rapport, comme la loi morale portant sur le devoir qu’il faut accomplir en entier (überhaupt) est unique et universelle, la maxime basée sur elle serait tout à la fois maxime universelle et maxime particulière : ce qui est contradictoire[1].

Dire de l’une ou de l’autre intention qu’elle est une ma-

  1. Les moralistes anciens, qui ont à peu près épuisé tout ce qui peut être dit sur la vertu, n'ont pas laissé de toucher aussi aux deux précédentes questions. Ils formulaient la première en ces termes : Est-ce que la vertu peut être enseignée (l’homme, par suite, est-il indifférent entre la vertu et le vice par sa nature ?) La seconde était celle-ci : Est-ce qu’il y a plus d’une vertu (et se peut-il en quelque sorte que l’homme soit ainsi bon sous certains rapports et vicieux sous d’autres) ? A chacune de ces questions ils répondirent négativement, avec une netteté toute rigoriste, et fort justement, parce que ce qu’ils considéraient c’était la vertu en soi dans l’idée de la raison (l’homme tel qu’il doit être). Mais si l’on veut juger moralement, dans le monde des phénomènes, l’être moral qu’est l’homme, tel que l’expérience nous le donne à connaître, à chacune des deux questions on peut répondre affirmativement ; parce que l’homme alors n’est pas jugé sur la balance de la raison pure (devant un tribunal divin), mais d’après une mesure empirique (par un juge humain). Nous aurons à parler de cela dans la suite.