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se base sur l’observation, importante pour la morale, que le libre arbitre est doué d’une liberté d’un caractère tout à fait particulier, laquelle ne peut être déterminée à un acte par un mobile qu’autant que l’homme a fait de ce mobile sa maxime (l’a pris pour règle générale suivant laquelle il veut se comporter) ; c’est ainsi seulement qu’un mobile quelconque peut subsister conjointement avec l’absolue spontanéité du libre arbitre (avec la liberté). Mais la loi

    ner la grâce comme compagne au concept du devoir, précisément à cause de sa dignité. Ce concept renferme en effet une contrainte inconditionnée avec laquelle la grâce est absolument en contradiction. La majesté de la loi (analogue à celle du Sinai = gleich dem auf Sinai) inspire un profond respect (au lieu d’être accompagnée d’une crainte qui repousse ou d’une séduction qui invite à la familiarité confiante) ; et ce respect éveille la considération que le serviteur témoigne à son maître, et, dans le cas présent, comme ce maître est en nous-même, il suscite le sentiment de la sublimité de notre propre destinée, lequel nous ravit plus que toute beauté. ― Mais la vertu, c’est-à-dire l’intention fermement arrêtée de remplir fidèlement son devoir, est bienfaisante dans ses conséquences, plus que ne sauraient l’être toutes les productions de la nature ou de l’art dans le monde ; et le portrait superbe de l’humanité représentée sous la forme de la vertu s’accommode fort bien de l’accompagnement des grâces, qui, tant qu’il n’est question que du devoir, se tiennent à une distance respectueuse. Si l’on porte les yeux sur les conséquences heureuses que la vertu, si elle avait accès partout, répandrait dans le monde, alors la raison moralement dirigée, entraîne (par la force de l’imagination) la sensibilité dans son jeu. C’est seulement après avoir dompté les monstres qu’Hercule devient Musagète, car les Muses, ces bonnes sœurs, reculent d’effroi devant ce labeur. Ces compagnes de Vénus-Uranie sont des sœurs courtisanes, qui font cortège à Vénus-Diane dès qu’elles veulent s’immiscer dans les affaires qui ont trait à la détermination du devoir et en indiquer les mobiles. Si maintenant on nous demande quel est le caractère esthétique, pour ainsi dire le tempérament de la vertu, s’il est courageux et par suite gai, ou timidement affaissé et morne, à peine est-il besoin d’une réponse. La dernière manière d’être est celle d’une âme d’esclave et ne peut jamais exister sans une haine cachée de la loi, tandis que la gaité du cœur dans l’accomplissement de son devoir (et non pas l’aise qu’on éprouve à le reconnaître) est un indice de la pureté de l’intention vertueuse, même dans la piété, qui ne consiste pas dans les mortifications que s’impose un pécheur repentant (mortifications très équivoques et qui ne sont communément qu’un reproche intérieur d’avoir manqué aux règles de prudence), mais bien dans le ferme propos de faire mieux à l’avenir, qui, stimulé par le succès, doit provoquer une humeur joyeuse de l’âme, sans quoi l’on n’est jamais certain d’avoir pris goût au bien, c’est-à-dire de l’avoir pris comme maxime.]