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se pose cette question : n’y a-t-il pas au moins un moyen terme ? N’est-il pas possible que l’homme, considéré dans son espèce, ne soit ni bon, ni mauvais ? en tout cas, ne peut-il pas être et bon et mauvais tout ensemble, bon sous un aspect, mauvais sous un autre ? ― Pour dire d’un homme qu’il est mauvais, ce n’est pas assez qu’il commette des actes qui le sont (des actes contraires à la loi), il faut encore que ces actes présentent un tel caractère que l’on puisse conclure d’eux à des maximes mauvaises en lui. Or on peut, il est vrai, constater, par l’expérience, des actes contraires à la loi, constater aussi (du moins en soi-même) qu’ils sont consciemment contraires à la loi ; mais les maximes ne sont pas accessibles à l’observation, pas même à l’observation intérieure, et par suite on ne peut jamais sûrement fonder sur l’expérience ce jugement que l’auteur de ces actes est un homme mauvais. Pour dire d’un homme qu’il est mauvais, il faudrait que l’on pût conclure a priori de quelques actions mauvaises, et même d’une seule, consciemment commises, à une maxime mauvaise qui en serait le fondement, et, de cette maxime, à un principe général de toutes les maximes particulières moralement mauvaises, principe qui aurait sa demeure dans le sujet et serait à son tour lui-même une maxime.

Mais le terme nature pourrait être, dès le début, une pierre d’achoppement, car, entendu (dans le sens qu’il a d’ordinaire) comme désignant le contraire du principe des actes ayant la liberté pour origine, il serait en contradiction formelle avec les prédicats de moralement bon ou de moralement mauvais ; pour éviter cela, il faut donc remarquer qu’ici, par ces mots « nature de l’homme », on doit entendre uniquement, d’une manière générale, le principe subjectif de l’usage humain de la liberté (sous des lois morales objectives), principe qui est antérieur à tout fait tombant sous les sens ; peu importe d’ailleurs la demeure de ce principe. Mais, en revanche, il faut toujours