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portes, et, dans certaines contrées de l’Hindoustan, le Dieu qui doit juger et détruire le monde, RUTTREN (appelé encore SIBA ou SIWEN), est déjà adoré comme le Dieu qui est maintenant le plus fort, depuis que WISCHNOU, le conservateur du monde, fatigué de la charge que lui avait donnée BRAHMA, le créateur du monde, s’en est démis, il y a déjà plusieurs siècles.

À cette idée s’oppose une opinion plus moderne, opinion héroïque qui est beaucoup moins répandue et n’a trouvé crédit qu’auprès des philosophes et, de nos jours surtout, auprès des pédagogues : c’est l’idée que le monde marche précisément en sens inverse et qu’il va constamment du pire au mieux (bien que d’un pas à peine perceptible), ou qu’il se trouve au moins dans la nature humaine une prédisposition à un tel progrès. Or, cette opinion, on peut être sûr que ses partisans ne l’ont point tirée de l’expérience, s’ils veulent qu’on l’entende (non de la civilisation) mais du bien et du mal moral ; car l’histoire de tous les temps lui donne de trop éclatants démentis ; elle n’est vraisemblablement qu’une hypothèse généreuse de la part des moralistes, depuis Sénèque jusqu’à Rousseau, ayant pour but de nous encourager à cultiver avec persévérance le germe de bien qui peut être en nous, si l’on peut compter seulement qu’il se trouve dans l’homme un fonds naturel pour cette culture. Ajoutez à cela que, puisqu'il faut admettre que l'homme, par nature (c'est-à-dire tel qu'il naît ordinairement), est sain de corps, aucune raison ne s’oppose à ce que l’on admette aussi qu’il est également, par nature, doté d’une âme saine et bonne. La nature elle-même doit par conséquent nous aider à développer cette prédisposition morale que nous avons au bien. Sanabilibus ægrotamus malis, nosque in rectum genitos, natura, si sanari velimus, adjuvat : dit Sénèque.

Mais il se pourrait bien que l’on se fût trompé dans ces deux opinions soi-disant basées sur l’expérience ; et alors