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PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION


seconde Faculté étant au contraire soumises au régime de la libre concurrence, et que seule elle peut conséquemment se plaindre de voir porter atteinte à ses droits exclusifs. Mais, sans parler du voisinage étroit de ces deux doctrines dans leur ensemble, ni du souci qu’a la théologie philosophique de ne pas franchir ses limites, il est aisé de dissiper un doute portant sur ces empiétements ; on n’a qu’à remarquer pour cela qu’un pareil abus ne se produit pas du seul fait que le philosophe fait des emprunts à la théologie biblique pour les employer à ses fins (car cette théologie elle-même devra reconnaître que bien des points lui sont communs avec les doctrines de la simple raison et qu’il se trouve en elle bien des choses qui appartiennent à l’histoire, à la linguistique ou à la critique de ces sciences), en supposant même qu’il les emploie dans un sens conforme à la simple raison et qui ne plait pas peut-être à la théologie biblique, mais qu’il ne peut être répréhensible que dans le cas où, par ses additions à cette théologie, il veut la diriger vers une fin différente de celle que lui assigne son institution. Ainsi, par exemple, on ne peut pas dire que le professeur de droit naturel, qui emprunte au Code romain plusieurs expressions et plusieurs formules classiques pour son enseignement philosophique du droit, commet des empiétements sur le droit romain, même si, comme c’est le cas fréquemment, il ne donne pas à ces expressions et à ces formules exactement le même sens que leur donneraient les commentateurs de ce droit, pourvu qu’il ne prétende pas obliger les véritables juristes et les tribunaux à les employer, eux aussi, dans le sens qu’il leur attribue. Si le philosophe, en effet, n’avait pas le droit d’en user ainsi, il pourrait, à son tour, accuser le théologien biblique ou le professeur de droit positif de commettre d’innombrables empiétements dans le domaine de la philosophie, car incapables l’un et l’autre de se passer de la raison, même de la philosophie, sitôt qu’il s’agit de science, ils doivent très sou-