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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

sions enfin nous passer de la lettre de la prière (du moins pour ce qui nous regarde). Car, ainsi que tout ce qui tend indirectement à un but précis, cette lettre affaiblit plutôt l’action de l’idée morale (qui, envisagée subjectivement, porte le nom de dévotion). Il y a, par exemple, dans la contemplation de cette sagesse profonde que la création divine révèle dans les choses les plus petites et de la majesté que l’ensemble nous manifeste, telles que de tout temps les hommes ont pu les voir, mais qui, dans les temps modernes, sont arrivées à nous frapper d’admiration extrême, non seulement une très grande force qui nous porte à cet état d’âme où, pour ainsi dire, les hommes sont anéantis à leurs propres yeux et que l’on nomme adoration, mais aussi une force qui, relativement à notre spéciale destination morale, élève tellement notre âme que devant elle les paroles, même les prières du roi David (qui savait peu de ces merveilles) doivent disparaître comme un son vide, car c’est quelque chose d’inexprimable que le sentiment.de cette intuition [de la main de Dieu]. — Mais sachant par ailleurs qu’avec la propension de leur âme à la religion (bei der Stimmung ihres Gemüths zur Religion), volontiers les hommes trans-

    nant tous les intérêts moraux des humains ; et ces cérémonies, où les intérêts en question sont représentés comme des intérêts publics et où les souhaits de chacun doivent être donnés comme se confondant avec les souhaits de tous par rapport à la fin (l’arrivée du règne de Dieu), peuvent élever l’émotion jusqu’à l’enthousiasme moral (tandis que l’oraison privée, manquant de cette idée sublime, perd peu à peu, par habitude, toute influence sur notre âme) et ont de plus, mieux que l’autre prière, des motifs rationnels de revêtir le souhait moral, qui constitue l’esprit de la prière, du vêtement des formules oratoires, ― sans que, pour ce motif, on aille cependant croire à l’évocation obligée de l’Être suprême ou attribuer à cette figure de rhétorique une valeur toute particulière, la valeur d’un moyen de grâce. C’est qu’en effet, ici, on se donne un but spécial, qui est de se servir d’une cérémonie par laquelle est représentée l’union extérieure de tous les hommes dans ce souhait commun du royaume de Dieu, pour porter en chacun les mobiles moraux à leur maximum d’énergie. ce qu’on ne saurait faire d’une manière plus habile qu’en s’adressant au chef de ce royaume comme s’il se trouvait spécialement présent en ce lieu.