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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

concept transcendant et une simple Idée dont nulle expérience ne peut nous garantir la réalité. Et, même comme idée, à un point de vue purement pratique, il y a à l’admettre une audace très grande, car elle est difficilement compatible avec la raison, étant donné qu’il faut, pour qu’on nous attribue un mérite comme celui de nous bien conduire moralement que nos actes ne soient pas dus à une influence étrangère, mais soient au contraire le résultat du meilleur usage possible de nos énergies personnelles. Cependant qu’il soit impossible à ces deux agents de coexister (et de marcher l’un à côté de l’autre), c’est ce qu’on ne peut point prouver, car la liberté elle-même, bien qu’il n’entre dans son concept rien de surnaturel, nous demeure pourtant, quant à sa possibilité, tout aussi incompréhensible que le surnaturel, qu’on voudrait regarder comme le complément de sa détermination spontanée, mais défectueuse.

Mais alors que nous connaissons de la liberté tout au moins les lois suivant lesquelles elle doit se déterminer (je veux dire les lois morales), nous sommes incapables de savoir la moindre des choses touchant l’assistance surnaturelle ; nous ignorons si d’elle provient réellement en nous une perceptible force morale, ou même dans quel cas et sous quelles conditions il nous est permis de compter sur elle ; et par conséquent, en dehors de la supposition générale que ce dont la nature est incapable en nous, la grâce viendra l’accomplir, pourvu que nous ayons employé la nature (c’est-à-dire nos propres forces) dans la mesure du possible, nous ne trouvons à faire aucun autre usage de cette Idée : nous ne savons ni de quelle manière (outre nos constants efforts à nous bien conduire) nous pourrions attirer sur nous cette coopération de la grâce, ni comment il serait possible de déterminer en quel cas nous aurions à compter sur elle. ― Cette idée nous dépasse ainsi totalement (ist gänzlich überschwenglich), et d’ailleurs il est