Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
DU VRAI CULTE ET DU FAUX CULTE

REMARQUE GÉNÉRALE

Le bien dont est capable l’homme par lui-même en vertu des lois de la liberté, par opposition à celui qu’il ne peut accomplir qu’avec l’assistance surnaturelle, nous pouvons l’appeler Nature pour le distinguer de la Grâce. En employant la première expression, nous ne voulons pas faire entendre qu’il s’agit, en l’espèce, d’une propriété physique distincte de la liberté, mais simplement que nous avons affaire à un pouvoir que règlent les lois (de la vertu), dont nous avons au moins la connaissance, et auquel la raison, puisqu’il est analogue à la nature, applique une méthode visible et compréhensible pour elle ; pour ce qui est de la grâce, au contraire, nous demeurons plongés dans une ignorance totale, ne sachant ni quand, ni en quoi, ni à quel degré elle agit en nous, la raison se trouvant ici, comme sur toutes les questions ayant trait au surnaturel (dont la moralité, comme sainteté, fait partie) entièrement privée, de la connaissance des lois, en vertu desquelles opère la grâce.

Qu’à notre faculté morale, incomplète, il faut l’avouer, et même à notre intention imparfaitement pure, ou faible tout au moins, vienne s’ajouter quelque chose de surnaturel qui nous aide à remplir tout notre devoir, c’est là un

    c’est-à-dire de la vertu (chose qu’il nous faut acquérir) ; elle a besoin, plus que tout autre, d’être surveillée de bonne heure et adroitement cultivée, car une fois qu’il a pris racine en notre âme, le penchant opposé est très difficile à détruire. ― Et maintenant, confrontez avec cette règle tout notre système d’éducation, surtout en matière de religion, ou mieux de doctrine de foi ; vous verrez que tout porte sur la fidélité que montre la mémoire à répondre aux questions posées, sans qu’on se préoccupe de la fidélité des professions de foi (qu’on ne soumet à aucun examen), et que cela seul parait suffisant pour faire un croyant qui demeure incapable de comprendre même ce qu’il dit saint ; et vous ne pourrez plus, dès lors, vous étonner du manque de sincérité qui fait, dans leur for intérieur, de purs hypocrites de tous les hommes*..]

    *Addition à la 2e édition.