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DU VRAI CULTE ET DU FAUX CULTE

vertu de laquelle on se croit adéquat à l’idée. de son saint devoir ; mais ceci n’est qu’accidentel. Donner à l’intention morale la valeur la plus élevée, ce n’est pas tomber dans une illusion, mais contribuer, au contraire, et d’une manière efficace, à ce qui est le mieux du monde.

Il est d’usage en. outre (tout au moins dans l’Église) d’appeler nature ce que les hommes peuvent accomplir au moyen du principe de la moralité, et de donner le nom de grâce à ce qui a uniquement pour but de suppléer aux imperfections de tout notre pouvoir moral ; cette grâce, du fait que c’est un devoir pour nous d’avoir un pouvoir moral suffisant, nous ne pouvons que la souhaiter ou aussi l’espérer et la demander ; on regarde les deux ensemble comme les causes efficientes de l’intention qui suffit à nous faire adopter une vie agréable à Dieu, mais on a l’habitude non seulement de distinguer entre la nature et la grâce, mais encore de les opposer radicalement l’une à l’autre.

Croire que l’on peut distinguer les effets de la grâce de ceux de la nature (de la vertu) ou que l’on est à même de les produire en soi est une pure extravagance, car nous ne pouvons reconnaître d’aucune façon dans l’expérience un objet suprasensible, ni encore moins agir sur un pareil objet de manière à le faire descendre jusqu’à nous, bien qu’il se produise parfois dans notre âme (Gemüth) des mouvements qui nous poussent à être moraux, mouvements que nous ne pouvons nous expliquer et par rapport auxquels nous sommes contraints d’avouer notre ignorance : « Le vent souffle où il veut, mais tu ne sais pas d’où il vient », etc. C’est une sorte de folie que de vouloir percevoir en soi des influences célestes ; cette folie, sans doute, peut bien avoir de la méthode (parce que ces prétendues révélations internes doivent toujours se rattacher à des idées morales, et par conséquent rationnelles), mais cela ne l’empêche pas d’être une illusion personnelle préjudiciable à la religion. Tout ce qu’on petit dire de la grâce, c’est que ses effets peuvent se