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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

aboutit à un faux culte, c’est-à-dire à une manière d’adorer la divinité directement contraire au vrai culte divin exigé de nous par Dieu même.


§1. — Du principe subjectif universel de l’illusion religieuse.


L’anthropomorphisme qui est, dans la représentation théorique de Dieu et de son être, difficilement évitable aux hommes, mais. en revanche, assez inoffensif (pourvu qu’il n’influe pas sur l’idée du devoir), devient très dangereux quand il est question des rapports pratiques que nous avons avec la volonté divine et de notre moralité même ; car alors nous nous faisons un Dieu[1] que nous croyons pouvoir très facilement gagner à nos intérêts, ce qui nous permet de nous supposer dispensés de l’effort ininterrompu et pénible consistant à agir sur ce qui est le fond intime de notre intention morale.

Le principe que d’ordinaire pose l’homme pour ces rap-

    extérieures d’une supériorité sur les autres. La folie elle-même est appelée Wahnsinn parce qu’elle prend d’habitude pour la présence de la chose même une simple représentation (de l’imagination) et lui donne même valeur. ― Or, croire qu’on possède (avant de s’en être servi) un moyen d’atteindre une fin quelconque, c’est ne le posséder, ce moyen, qu’en idée ; par suite, s’en tenir à la conscience qu’on le possède regardée comme tenant lieu de la possession elle-même, c’est être fou pratiquement ; la folie pratique est la seule dont il soit question ci-dessus.

  1. [II semble évidemment étrange, et pourtant il est vrai de dire que tout homme se fait un Dieu et que même il doit s’en faire une grâce à des concepts moraux (auxquels il ajoute les propriétés infiniment grandes qui se rapportent à la faculté de représenter dans le monde un objet adéquat à ces concepts moraux) afin d’adorer en lui Celui qui l’a fait. En effet, de quelque façon qu’on ait pu nous dépeindre et nous faire connaître un être comme Dieu, et quand même un tel être (si possible) condescendit à nous apparaître lui-même, il nous faudrait pourtant confronter avant tout cette représentation avec l’Idéal que nous nous faisons de cet être, afin de voir si nous avons le droit de le regarder et de l’adorer comme une divinité. Par révélation pure et simple et sans qu’on l’appuie sur la base d’un pareil concept préalable entièrement pur et capable de servir de pierre de