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DEUXIÈME SECTION

DU FAUX CULTE DE DIEU DANS UNE RELIGION STATUTAIRE



La véritable et unique religion ne renferme pas autre chose que des lois, c’est-à-dire des principes pratiques tels que nous pouvons en voir par nous-mêmes la nécessité absolue, et que nous les reconnaissons, par suite, comme révélés par raison pure (et non d’une manière empirique). C’est uniquement en vue d’une Église — et il peut y en avoir différentes formes également bonnes — que sont promulgués des statuts, c’est-à-dire des prescriptions considérées comme divines, mais qui, selon notre jugement moral pur, sont arbitraires et contingents. Or, estimer cette foi statutaire (en tout cas restreinte à un peuple et qui ne saurait contenir la religion universelle) comme essentielle à tout culte divin, et en faire la condition suprême de la complaisance de Dieu en l’homme, c’est une folie religieuse[1] qui

  1. La folie est l’illusion qui consiste à considérer comme équivalente à la chose même sa simple représentation. Ainsi, la folie avaricieuse fait trouver au riche grigou dans l’idée qu’il peut, quand il le voudra, faire usage de ses richesses, l’équivalent de l’acte même, si bien qu’il s’en tient là et ne dépense rien. La folie des honneurs attribue aux marques d’estime qui, dans le fond, ne sont pas autre chose que la représentation extérieure d’un respect (que peut-être intérieurement les autres sont loin d’éprouver pour nous) le prix qu’on ne devrait accorder qu’au respect lui-même ; de cette folie fait aussi partie le désir de titres, ainsi que l’amour des décorations, puisque ces distinctions ne sont pas autre chose que des représentations