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DU VRAI CULTE ET DU FAUX CULTE

avant l’époque où la diffusion de cette doctrine fut devenue déjà considérable, le Judaïsme n’avait pas encore pénétré dans les milieux savants, c’est-à-dire que les savants étrangers de la même époque ne l’avaient pas encore bien connu ; son histoire n’avait pas encore été contrôlée, peut-on dire, et c’était en raison de son antiquité que son livre sacré s’était vu concéder l’authenticité historique. Admettons, nous aussi, cette authenticité ; il n’en reste pas moins que ce n’est pas assez de connaître ce livre dans des traductions et de le transmettre ainsi à la postérité ; au contraire, pour la sûreté de la foi ecclésiastique établie sur lui, il sera requis, en outre, qu’il y ait, en tout temps et en tous pays, des savants qui sachent l’hébreu (autant qu’il est possible de savoir une langue dont nous n’avons plus qu’un seul livre) ; ce n’est point seulement la science historique en général, mais l’humanité tout entière, puisque son salut en dépend, qui sont intéressées à ce qu’il se trouve des hommes connaissant assez la langue hébraïque pour garantir au monde la religion véritable.

Il est vrai qu’en un sens la religion chrétienne se trouve dans le même cas. Les saints épisodes qu’elle raconte se sont déroulés, sans doute, en public et sous les yeux mêmes d’un peuple instruit ; mais son histoire a mis plus qu’un âge d’homme à pénétrer dans le public savant, et par suite n’a point une authenticité confirmée par des témoignages contemporains. Mais cette religion a sur le Judaïsme le grand avantage d’être donnée comme sortie de la bouche du premier Maître sous la forme non pas d’une religion statutaire, mais d’une religion morale, si bien que, se trouvant très étroitement unie avec la raison, elle peut, grâce à elle, se propager d’elle-même et sans le secours de l’érudition historique, avec la plus grande sécurité, en tous temps et en tous pays. Les premiers fondateurs de la communion chrétienne, il est vrai, estimèrent devoir fondre avec ces données l’histoire du Judaïsme, et c’était de leur part un acte de prudence dans