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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

par les premiers Apôtres pour propager la doctrine du Christ et lui frayer les voies parmi le peuple, comme une partie intégrante de la religion elle-même, applicable à tous les pays et valable pour tous les temps, de sorte qu’il faut regarder tout chrétien comme un Juif dont le Messie est arrivé ; mais, quoique les deux choses ne s’accordent pas bien, ― on n’exige pas des chrétiens à proprement parler qu’ils obéissent aux lois du Judaïsme (à aucune loi positive), tout en leur réclamant d’accepter avec foi tous les livres saints de ce peuple comme une divine révélation qui s’adresse à tous les mortels[1]. ― Or, on a tout de suite de nombreuses difficultés avec l’authenticité de ce livre (qui n’est point prouvée, tant s’en faut, du fait seul que certains passages de ce livre, on peut même dire toute l’histoire sainte qu’il raconte, se trouvent reproduits dans les Livres chrétiens, en vue de la fin plus haut indiquée). Avant les commencements du Christianisme, et même

  1. Mendelssohn, très adroitement, mettait à profit ce point faible de l’idée que l’on donne ordinairement du christianisme pour repousser complètement toute prétention des chrétiens à la conversion des fils d’Israël. En effet, disait-il, d’après leur propre aveu, la foi judaïque est la construction sur laquelle repose l’édifice plus élevé du christianisme ; autant vaudrait alors vouloir pousser quelqu’un à quitter le rez-de-chaussée pour loger au premier étage. Et sa véritable pensée transparaît assez clairement. Il veut dire : commencez donc par jeter vous-mêmes le judaïsme hors de votre religion (il peut cependant demeurer comme une antiquaille dans l’exposé historique de la croyance) et nous pourrons alors prendre en considération vos propositions. (En fait, on n’aurait guère plus, en ce ces, qu’une religion purement morale et sans addition de lois positives). Notre faix ne sera nullement allégé, lorsque nous aurons rejeté les observances extérieures, si vous remplacez ce joug par un autre : la profession de foi aux saintes Écritures, bien plus lourd et plus accablant pour les gens consciencieux. ― [Les livres saints du peuple juif seront toujours d’ailleurs conservés et appréciés à cause des services qu’ils rendent non pas à la religion, mais à la science ; car l’histoire d’aucun peuple ne remonte aussi haut, et avec un même air d’authenticité, que ces livres (où nous est décrite même la naissance du monde) ; ils parlent des époques les plus reculées dans la nuit des temps, où l’on peut faire entrer tout ce que nous savons de l’histoire profane ; et la grande lacune laissée par cette histoire est ainsi comblée grâce à eux.]