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DU VRAI CULTE ET DU FAUX CULTE

(Math. V, 20-48) ; le péché en pensée équivaut devant Dieu au péché par action (v. 28) et d’une façon générale c’est à la sainteté que nous devons viser (v. 48) ; la haine dans le cœur est, par exemple, équivalente au meurtre (v. 22) ; on ne peut réparer l’injustice faite au prochain que par les satisfactions données à lui-même et non par des actes de dévotion (gottesdienstliche) (v. 24) ; pour ce qui est de la véracité, le moyen légal en usage pour obtenir par contrainte la vérité[1], le serment, porte atteinte au respect de la vérité elle-même (v. 34-37) ; — le cœur humain doit complètement transformer ses penchants naturels mauvais ; le sentiment si doux de la vengeance doit se convertir en résignation (v. 39, 40) et la haine des ennemis en bienfaisance à leur égard (v. 44). En parlant ainsi, nous dit-il, il croit accomplir la loi judaïque (V, 17), et par là il montre fort bien que ce n’est point la science de l’Écriture, mais la religion rationnelle pure qui doit en être l’interprète ; car cette loi prise à la lettre autorisait exactement le contraire de tout

  1. On ne voit pas pourquoi cette claire interdiction d’un moyen de contrainte, basé sur la pure superstition, et non pas sur la conscience, auquel les tribunaux recourent pour obtenir des dépositions véridiques, passe pour avoir si peu d’importance aux yeux des docteurs dé la religion. Que la superstition soit en effet la chose dont ici l’on escompte, plus que de toute autre, l’effet, on le reconnaît à ce que, d’un homme qu’on n’estime point capable de dire la vérité, dans une déposition solennelle sur la vérité de laquelle repose la décision du droit des hommes (tout ce qu’il y a de plus saint au monde), on croit pourtant qu’il sera poussé à la dire par une formule n’ajoutant rien à cette disposition elle-même et se bornant à lui faire appeler sur lui les châtiments de Dieu (auxquels à lui seul le mensonge ne lui permet pas d’échapper), comme s’il dépendait de lui de rendre des comptes ou de n’en pas rendre devant ce tribunal suprême. ― Le passage de l’Écriture auquel nous nous référons représente ce mode de protestation comme une témérité saugrenue qui revient à vouloir, peut-on dire, réaliser, grâce à des paroles magiques, des choses cependant au-dessus de notre pouvoir. — Et l’on voit bien que, le Maître avisé qui nous recommande dans ce passage de nous contenter du oui, oui ! non, non ! comme attestation de la vérité. parce que ce qu’en dit en plus vient du mal, avait sous les yeux les tristes conséquences que les serments entraînent avec eux : la trop grande importance qu’on leur attribue, en effet, rend presque autorisé le mensonge ordinaire.