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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

Celle ou je dois savoir d’abord que quelque chose est un commandement divin pour reconnaître en cela mon devoir, est la religion révélée (ou qui exige une révélation) ; celle, au contraire, où il me faut d’abord savoir que quelque chose est un devoir avant d’y pouvoir reconnaître un ordre divin est la religion naturelle. — Celui qui professe que seule la religion naturelle est moralement nécessaire et constitue donc un devoir, peut être encore nommé rationaliste (dans les choses de la croyance). Quand il nie la réalité de toute révélation divine surnaturelle, le rationaliste est naturaliste ; s’il en admet la possibilité, tout en soutenant qu’il n’est pas requis nécessairement, pour la religion, qu’on la connaisse ni qu’on la regarde comme réelle, on peut le dire alors rationaliste pur ; mais celui par qui la croyance à une pareille révélation est considérée comme nécessaire à la religion générale peut recevoir le nom de pur supranaturaliste dans les choses de la croyance.

Il faut que le rationaliste, en vertu même de son titre, se cantonne dans les limites de l’humaine pénétration. Par

    ter le respect que nous devons à Dieu comme un devoir de cette sorte, ce serait oublier qu’il ne constitue pas un acte de religion spécial, et qu’il est, au contraire, le sentiment religieux présent dans tous les actes conformes au devoir que nous accomplissons en général. Sans doute il est écrit : (a) « Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes », mais cette parole veut simplement nous faire comprendre que si, par hasard, des lois positives, par rapport auxquelles les hommes peuvent être juges et législateurs, entrent en conflit avec des devoirs que la raison prescrit de manière absolue et dont l’accomplissement ou la transgression ne peut avoir que Dieu pour juge, il faut que 1es premiers cèdent la place aux autres. Mais si par ce en quoi l’on doit obéir à Dieu plus qu’aux hommes on voulait désigner les ordres positifs de Dieu que nous fait connaître une Église, un pareil principe pourrait aisément devenir le cri de guerre, hélas ! tant de fois entendu, de prêtres hypocrites et ambitieux excitant les foules à la révolte contre l’autorité civile. Car les actes licites qu’ordonne le pouvoir civil sont certainement un devoir ; tandis que les actes en soi licites, mais uniquement connaissables par révélation divine, nous ne savons jamais (au moins pour la plus grande part) que d’une manière fort incertaine s’il nous sont vraiment commandés par Dieu.

    (a) Actes des apôtres, V, 9.