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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

forces, les assauts du mauvais principe (auquel séparément les hommes ne sont que trop portés à servir d’instruments). ― Nous avons vu aussi que cette république, en sa qualité de règne de Dieu, l’homme ne saurait l’établir qu’au moyen de la religion, et que ce règne enfin, afin que la religion soit publique (ce qui est nécessaire dans une république), peut être représenté sous la forme sensible d’une Église que les hommes sont donc obligés de constituer, car son organisation est une œuvre dont on leur a laissé le soin et que l’on peut exiger d’eux.

Mais constituer une Église, c’est-à-dire une république régie par des lois religieuses, est chose qui semble exiger plus de sagesse (tant sous le rapport de l’esprit qu’au point de vue de la bonne intention) qu’on ne saurait vraiment en attendre des hommes ; il semble surtout que le bien moral, visé par cette institution, devrait déjà être présupposé en eux pour qu’ils la fondent. Au fait, c’est un non-sens de dire que les hommes devraient fonder un royaume de Dieu (comme l’on dit, à juste titre, qu’ils peuvent établir celui d’un roi humain) ; Dieu doit être lui-même l’auteur de son royaume. Mais étant donné que nous ignorons ce que Dieu fait directement pour traduire en faits l’idée d’un royaume dont il est le chef et dont nous devons être citoyens sujets, d’après la destination morale que nous trouvons en nous, alors que nous savons bien ce qu’il nous faut faire pour être susceptibles de devenir membres de ce royaume, cette idée — peu importe que la raison ou l’Écriture l’aient éveillée et rendue publique en l’espèce humaine — nous obligera cependant à organiser une Église, qui, dans le dernier cas, aura Dieu lui-même pour fondateur, et, par conséquent, pour auteur de sa constitution ; mais où les hommes toutefois, en tant que membres et citoyens libres de ce royaume, sont, dans tous les cas, les auteurs de l’organisation, puisque ceux d’entre eux, en effet, qui ont reçu mission d’administrer ses affaires publiques, en constituent l’administration, sont les