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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

monde un bien ou un mal quelconque moral, et (si le mal moral se trouve en tous et en tout temps) comment se peut-il que le bien en sorti et soit rétabli dans un homme ; ou pourquoi, si cela a lieu pour quelques-uns, d’autres sont-ils exclus des mêmes avantages ? — Dieu ne nous a rien révélé et ne peut rien nous révéler non plus, parce que nous serions incapables de le comprendre[1]. C’est comme si nous voulions expliquer et nous rendre compréhensibles les actes que l’homme accomplit au moyen de la liberté ; bien que Dieu sur ce point nous ait fait connaître sa volonté par la loi morale qui est en nous, il a laissé les causes en vertu desquelles un acte libre s’accomplit ou non sur la terre dans l’obscurité où doivent rester pour les investigations humaines toutes les choses qui, en tant qu’événements (als Geschichte), quoique provenant de la liberté, doivent être conçues suivant la loi des causes et des effets[2]. Quant à ce qui regarde la règle objective de

  1. [On ne se fait communément aucun scrupule d’exiger la foi aux mystères de ceux qu’on introduit dans la religion, parce que l’incapacité où nous sommes de les comprendre, c’est-à-dire d’apercevoir la possibilité de leur objet, ne saurait nous autoriser à refuser de les admettre, pas plus que l’on ne peut, si l’on veut un exemple, hésiter à admettre le pouvoir de reproduction dont est douée la matière organique, et que personne ne comprend, bien que ce pouvoir soit pour nous et doive rester un mystère. Mais dans ce cas nous entendons fort bien ce que cette expression veut dire et nous avons de son objet un concept empirique avec la conscience qu’il ne contient point de contradiction. ― Or, de chaque mystère proposé à notre croyance nous pensons à bon droit exiger qu’on entende ce que sa formule veut exprimer ; ce qui n’a pas lieu du fait qu’on entend séparément les mots dont elle se compose, c’est-à-dire qu’on lie un sens à chacun d’eux, mais du fait que pris tous ensemble pour constituer un concept ils doivent encore présenter un sens, au lieu, pour ainsi dire, de se vider ainsi de toute pensée. ― Quant à penser que Dieu, pourvu que nous ayons, en ce qui nous regarde, le désir sérieux et constant de connaître les mystères, puisse nous laisser par inspiration arriver à leur connaissance, c’est là une chose impossible ; car cette connaissance ne peut nullement trouver place en nous, notre entendement en étant incapable de sa nature.] (2e édition.)
  2. [C’est pour cela qu’au point de vue pratique (quand il est question du devoir) nous comprenons fort bien ce qu’est la liberté, mais qu’au point de vue théorique, où il s’agit d’en voir la causalité (la