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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

à prévoir d’avance (la fin de la vie, par exemple, qu’elle soit proche ou éloignée), exprime fort bien la nécessité qui s’impose à tous de s’y tenir prêts constamment, mais elle exprime en fait (si l’on attribue un sens intellectuel à ce symbole) la nécessité où nous sommes de nous regarder constamment et effectivement comme des citoyens élus d’un État divin (d’un État moral). « Quand donc arrivera le royaume de Dieu ? » ― « Le royaume de Dieu ne se présente pas sous une forme visible. On ne peut jamais dire : il est ici ou là. Car voyez, le royaume de Dieu est au dedans de vous ! » (Lue, 17, 21, et 22)[1].

  1. [Le royaume de Dieu dont ii s’agit ici, ce, l’est pan celui qui ré-pond à une alliance particulière iun royaume messianique), mais bien un royaume moral (reconnaissable par la raison seule). Le royaume messianique (regnum diuinum paclilium) devrait seprouver par l’histoire, et il pourrait être messianique ou selon l’ancienne alliance ou encore selon la nouvel-’e. Or, c’est à remarquer, les partisans de l’ancienne alliance (les Juifs) se sont maintenus comme tels, quoique dispersés dans le monde entier, tandis qu’on voit d’ordinaire les autres hommes confondre leur foi religieuse avec celle du peuple où ils vivent disséminés. Ce phénomène semble si étrange à beaucoup de gens qu’ils ne peuvent se décider à l’estimer possible selon le cours de la nature, mais qu’ils y voient une disposition extraordinaire des choses (ausserordentliche Veranstaltung) eu vue d’une intention divine spéciale. Cependant quand un peuple a une religion écrite (des livres saints) et se trouve en contact avec un autre peuple qui n’a rien de pareil, mais unique-ment des usages (c’était le cas de l’empire romain, tout le monde civilisé d’alors), jamais il ne confond sa croyance avec l’autre ; il fait plutôt des prosélytes, après un temps plus ou moins long. C’est aussi parce qu’ils avaient des livres sacrés et parce que ces livres commencèrent à faire l’objet de lectures publiques après* la captivité de Babylone, que les Juifs, à partir de ce moment, ne se virent plus reprocher leur penchant à courir après les faux dieux : la culture alexandrine, en particulier, qui dut avoir sur eux de l’influence, put leur être très favorable pour donner à ces livres une forme systématique. Les Parsis, sectateurs de la religion de Zoroastre, ont, eux aussi, malgré leur dispersion, conservé leur croyance jusqu’à nos jours, parce que leurs destours possédaient le Zend-Avesta. Par contre, les Hindous, qui, sous le nom de Bohémiens, ont été dispersés au loin, n’ont pas su se garder de mêler leur croyance avec celle des autres peuples, parce qu’ils formaient la lie de la population (parce qu’ils étaient les Parias, auxquels il est même interdit de lire dans leurs livres saints). Et ce que les Juifs, à eux seuls, eussent été incapables