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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

tif était simplement d’introduire une foi religieuse pure, où il ne saurait y avoir d’opinions contradictoires, et que tout ce tumulte, dont le genre humain a souffert et qui le tient encore divisé, provient uniquement d’un mauvais penchant, propre à la nature humaine, qui lui fait transformer ce qui devait servir, dans les premiers temps, à l’introduction de cette foi pure — c’est-à-dire gagner à cette foi nouvelle la nation habituée à l’ancienne foi historique — en fondements définitifs d’une religion universelle.

Si l’on demande : quelle est la meilleure époque de toutes celles que, jusqu’à nos jours, comprend l’histoire de l’Église, je réponds sans hésitation : c’est l’époque actuelle, parce qu’on n’a qu’à laisser se développer librement de plus en plus le germe de la vraie foi religieuse, tel qu’il a été de nos jours déposé dans la chrétienté par quelques esprits seulement, mais publiquement toutefois, pour que se réalise un progrès continu vers cette Église qui réunira tous les hommes à jamais et qui est la représentation visible (le schème) d’un règne invisible de Dieu sur la terre. ― La raison qui s’est dégagée, en ce qui regarde les choses qui doivent être en elles-mêmes (ihrer Natur nach) morales et moralisantes, du joug d’une croyance constamment exposée aux caprices des interprètes (der Willkühr der Ausleger), s’est imposé, dans tous les pays de l’Europe, deux principes admis universellement par les véritables hommes de religion (bien qu’ils ne le soient point publiquement partout). Le premier est celui d’une juste mesure dans les jugements qui s’appliquent à tout ce qu’on nomme révélation ; il consiste à dire qu’étant donnée l’impossibilité où nous sommes de refuser à un livre dont le contenu moral est purement divin la possibilité d’être considéré réellement aussi (dans ce qu’il contient d’historique) comme une révélation divine, lorsque nous savons, d’autre part, que l’union des hommes en une religion ne peut ni s’effectuer comme il faut, ni être rendue permanente, sans un livre sacré