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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

porains ne font mention ni des miracles, ni de la révolution, publique elle aussi, que ces miracles opérèrent (au point de vue de la religion) dans ce peuple soumis à la domination de Rome. Ce ne fut que tardivement, après plusieurs générations, qu’ils essayèrent de se rendre compte de la nature de ce changement de croyance qui, jusqu’à ce moment, leur avait échappé (bien qu’il ne se fût pas accompli sans des commotions publiques), mais sans s’occuper de faire l’histoire des premiers débuts de ce changement et de la rechercher dans leurs propres annales. De ces débuts jusqu’à l’époque où le Christianisme se fut constitué un public éclairé, son histoire est par suite obscure, et nous ne savons pas quelle influence eut sa doctrine sur la moralité de ses adeptes, si les premiers Chrétiens furent réellement des hommes moralement meilleurs ou bien des gens d’une trempe ordinaire. Mais depuis le moment où le Christianisme est devenu lui-même un public éclairé, ou du moins un fait général (oder doch in das allgemeine eintrat), son histoire, sous le rapport de l’effet bienfaisant qu’on est en droit d’attendre d’une religion morale, ne lui sert nullement de recommandation. On peut y voir comment les extravagances mystiques de la vie des ermites et de la vie des moines et l’exaltation de la sainteté du célibat rendirent un grand nombre d’hommes inutiles au monde, comment de prétendus miracles liés à ces folies enchaînèrent le peuple avec des liens pesants dans la superstition aveugle ; comment, sous une hiérarchie s’imposant à des hommes libres, la terrible voix de l’orthodoxie s’exprima par l’organe d’interprètes de l’Écriture, qui se prétendaient audacieusement les seuls autorisés, et divisa la chrétienté en des partis exaspérés à cause d’opinions ayant trait à la foi (où, si l’on a recours à la raison pure comme interprète, il est tout à fait impossible d’obtenir l’accord unanime) ; comment, en Orient, où l’État s’occupa lui-même ridiculement des règles de la foi et des dissensions cléri-