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DE LA VICTOIRE DU BON PRINCIPE SUR LE MAUVAIS

événements de la première, nous montre clairement qu’ils ne voient, ou ne voyaient là que le moyen le plus habile d’introduire une religion morale pure à la place d’un culte ancien, auquel le peuple était trop fortement habitué, sans toutefois heurter de front les préjugés. La suppression subséquente de la marque distinctive corporelle qui servait à mettre ce peuple entièrement à part de tous les autres nous permet déjà de juger que la nouvelle foi, n’étant pas plus liée aux statuts de l’ancienne qu’à des statuts quelconques, devait renfermer une religion valable, non pour un seul peuple, mais pour l’univers tout entier.

Donc c’est du Judaïsme, non du Judaïsme patriarcal, sans mélange et portant sur une constitution politique (d’ailleurs fort ébranlée déjà), mais du Judaïsme où déjà se mêlait une foi religieuse grâce à des doctrines morales qui insensible-ment y étaient devenues publiques, à une époque où, dans ce peuple au reste ignorant, s’était déjà glissée beaucoup de sagesse étrangère (grecque), sagesse qui, sans doute, contribua aussi à faire naître en lui des concepts de vertu et à le préparer à des révolutions appelées par l’écrasant fardeau de sa foi dogmatique, quand l’occasion s’en présenta grâce à l’amoindrissement du pouvoir des prêtres résultant de leur soumission à la domination d’un peuple qui regardait avec indifférence toutes les croyances des autres peuples, ― c’est de ce Judaïsme que s’éleva donc tout à coup, mais non sans avoir été préparé, le Christianisme. Le Maître de l’Évangile s’annonça comme un envoyé du ciel et se révéla digne d’une telle mission en déclarant nulle par elle-même la foi servile (toute en jours consacrés au culte, en professions de foi, en rites) et en proclamant que la foi morale, la seule qui rende les hommes saints « comme est saint leur Père qui est au ciel » et dont la pureté se prouve par la bonne conduite, est l’unique foi sanctifiante. Et après que, par ses leçons, par ses souffrances et par sa