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DE LA VICTOIRE DU BON PRINCIPE SUR LE MAUVAIS

représentation symbolique des propriétés inhérentes à un être divin unique, et à prêter à différents actes vicieux ou même aux rêveries sauvages, mais belles, de leurs poètes un sens mystique[1] grâce auquel une foi populaire (qu’il n’aurait pas été opportun de détruire, parce qu’il eût pu en résulter peut-être un athéisme encore plus pernicieux pour l’État), se trouvait rapprochée d’une doctrine morale intelligible à tous les hommes et seule profitable. Le Judaïsme plus récent et le Christianisme même sont faits d’interprétations de ce genre qui sont en partie très forcées, et tous les deux en vue de fins indubitablement bonnes et nécessaires pour tous les hommes. Les Mahométans savent fort bien (ainsi que le montre Reland) prêter un sens spirituel à la description de leur paradis, tout de sensualité, et les Indiens agissent exactement de même dans l’interprétation de leurs Védas, au moins pour la partie la plus éclairée de leur peuple. ― Mais si cette chose est faisable sans qu’on soit toujours obligé de fausser (wider... sehr zu verstossen) le sens littéral de la croyance populaire, c’est que, longtemps avant cette dernière, était cachée dans la raison humaine la disposition à la religion morale, et que si ses premières manifestations brutes n’eurent pour fin que de servir à l’usage du culte et, dans ce but, donnèrent lieu à ces prétendues révélations, elles ont, ce faisant, sans dessein préconçu, mis dans ces fictions elles-mêmes quelque chose du caractère de leur origine suprasensible. ― On ne peut pas, du reste, accuser de déloyauté ce genre d’interprétations, à moins, bien entendu, de nous faire dire que le sens que nous attribuons aux symboles de la croyance populaire, ou aussi aux livres sacrés, est bien celui

  1. Peut-être faudrait-il lire mytischen Sinn, bien que toutes les éditions donnent comme texte mysticken. Kant vient de parler, en effet, de l’interprétation morale faite par les anciens des croyances polythéistes et il dit, en ce moment-ci, que la même interprétation a été appliquée par eux aux rêveries de leurs poètes, qui leur parurent également des mythes. A. T.