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DE LA VICTOIRE DU BON PRINCIPE SUR LE MAUVAIS

le plus répandu) de dire d’un homme qu’il fait partie de telle ou telle croyance (juive, mahométane, chrétienne, catholique, luthérienne) que de dire qu’il est de telle ou telle religion. Il serait à souhaiter qu’on n’employât jamais cette dernière expression quand on s’adresse au grand public (dans les catéchismes et dans les sermons) ; car elle est trop savante et trop incompréhensible pour lui, ce que prouve bien l’absence de terme ayant le même sens dans les langues modernes. Le vulgaire comprend toujours par religion sa croyance d’Église, croyance qui lui saute aux yeux, alors que la religion se tient cachée an fond de l’homme et dépend seulement des sentiments moraux. C’est faire trop d’honneur à la plupart des hommes que de dire : ils se reconnaissent de telle ou telle religion ; car ils n’en connaissent et n’en désirent aucune : la foi statutaire d’Église est tout ce qu’ils entendent par ce mot. Les prétendues guerres de religion qui si souvent ont ébranlé le monde en le couvrant de sang n’ont jamais non plus été autre chose que des querelles suscitées autour de croyances d’Église, et les opprimés ne se plaignaient pas, à vrai dire, de ce qu’on les empêchait de rester fidèles à leur religion (ce qui dépasse le pouvoir de toute puissance extérieure) mais de ce qu’on ne leur permettait pas de pratiquer publiquement les croyances de leur Église.

Or une Église qui elle-même se donne, comme c’est le cas ordinaire, pour la seule et l’universelle (für die einige allgemeine) (bien qu’elle soit fondée sur une croyance révélée particulière qu’on ne peut jamais exiger de tous, étant donné qu’elle est d’ordre historique), traite d’incrédule quiconque refuse d’accepter sa croyance ecclésiastique (particulière) et le déteste de tout cœur ; quiconque s’en écarte, ne serait-ce qu’un peu (et sur un point non essentiel) est pour elle un hétérodoxe qu’on doit tout au moins fuir comme contagieux. Quiconque enfin se reconnaît de cette Église, mais, nonobstant, s’écarte en un point essentiel