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AVANT-PROPOS


pend tout à fait notre existence et toute la détermination de notre causalité (1)[1]. » En fait, si les actes de l’homme, en tant qu’appartenant à ses déterminations dans le temps, « étaient des déterminations de l’homme comme chose en soi, la liberté ne pourrait être sauvée ». Mais puisque ces actes se rangent dans la classe des phénomènes, bien qu’il soit l’auteur du noumène, Dieu ne peut en être la cause, car il serait contradictoire de dire que Dieu, comme créateur, est la cause des phénomènes, puisque son action ne s’exerce que dans le monde nouménal (2)[2]. Kant reconnaît que cette solution offre beaucoup de difficultés et d’obscurités ; mais il ne croit pas qu’on puisse en donner une de plus claire et de plus facile. Le problème en effet n’est autre que le vieux problème si débattu de la prémotion physique, qui peut au fond se ramener aux rapports de la grâce et de la liberté. Nous touchons ici au mystère ; et si, spéculativement, nous devrions opter pour la grâce, pratiquement, c’est sur la liberté que se portera notre choix, parce qu’il nous faut être libres pour accomplir la loi morale et devenir ainsi dignes d’obtenir le souverain bien. — L’homme est cependant incapable de se conformer intégralement à la loi de la moralité que lui dicte la Raison pure ; sa nature d’être sensible constitue à sa perfection un obstacle que rien ne peut jamais lever ; la sainteté n’est donc qu’un idéal inaccessible à toute créature, mais elle doit rester constamment le modèle « dont nous devons nous efforcer de nous rapprocher par un progrès ininterrompu », sans limites (3)[3]. Un tel progrès allant à l’infini, nous force, au nom de la vertu, à postuler l’immortalité de notre âme. Or si, comme être raisonnable, l’homme est voué à la vertu, sa nature d’être sensible lui fait désirer le bonheur, et le souverain bien ne peut consister pour lui que dans l'union de la vertu et du

  1. (1) Loc. cit., p. 182.
  2. (2) Id., p. 186.
  3. (3) Id., p. 149