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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

cela ne constitue pas une usurpation de pouvoir ayant pour but d’imposer un joug à la foule au moyen de lois ecclésiastiques auxquels on attribue l’autorité divine (durch das Vorgeben göttlicher Autorität). Il y aurait d’ailleurs autant de présomption à refuser d’admettre que l’organisation d’une Église puisse peut-être aussi être le résultat d’une institution divine particulière, quand nous la trouvons, autant que nous sommes capables d’en juger, dans le plus grand accord avec la religion morale, et quand il est, en outre, impossible de bien comprendre comment, sans les progrès préparatoires indispensables du public dans le champ des concepts religieux, elle a pu tout d’un coup faire son apparition. L’état d’indécision où nous demeurons sur ce point : est-ce à Dieu ou aux hommes de fonder une Église ? est lui-même la preuve du penchant qu’ont les hommes à la religion cultuelle (cultus), et, comme le culte est basé sur des prescriptions arbitraires, à la foi en des lois divines statutaires, en partant de cette hypothèse qu’à la plus excellente façon de vivre (que l’homme puisse avoir en suivant les préceptes de la religion purement morale [rein moralischen Religion]) doit s’ajouter encore une législation divine que la raison ne peut connaître et qui exige une révélation ; par où l’on a directement en vue des honneurs à rendre à l’être suprême (qui ne sont pas ceux qu’on lui rend <avec la raison> en accomplissant ses commandements suivant l’ordre déjà donné). De là vient que les hommes n’estimeront jamais leur réunion en une Église et leur accord touchant la forme à lui donner comme nécessaires en soi à titre d’institutions publiques servant à développer ce qu’a de moral la religion et qu’ils n’en verront la nécessité qu’afin de servir leur Dieu, comme ils disent, par des solennités, par des actes de foi s’adressant aux lois révélées et par l’observance des prescriptions liées à la forme de l’Église (qui elle-même cependant n’est qu’un moyen) ; quoique toutes ces pratiques au fond soient des actions moralement indifférentes, elles sont