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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

que des hommes avec lesquels il est en contact ou en relations. Ce ne sont pas les excitations de sa nature qui éveillent en lui les passions, ces mouvements désignés par un mot si juste qui causent de si grands ravages dans ses dispositions primitivement bonnes. Il n’a que de petits besoins, et les soucis qu’ils lui procurent laissent son humeur modérée et calme. Il n’est pauvre (ou ne se croit tel) qu’autant qu’il a peur que les autres hommes puissent le croire pauvre et le mépriser pour cela. L’envie, l’ambition, l’avarice, et les inclinations haineuses qui les suivent, assaillent sa nature essentiellement modérée, dès qu’il vit au milieu des hommes ; et il n’est même pas besoin de supposer ces hommes déjà enfoncés dans le mal, lui donnant de mauvais exemples ; il suffit qu’ils soient là, qu’ils l’entourent et qu’ils soient des hommes, pour qu’ils se corrompent les uns les autres dans leurs dispositions morales et qu’ils se rendent mutuellement mauvais. Si donc il n’était pas possible de trouver le moyen d’établir une société destinée tout à fait particulièrement à sauvegarder les hommes du mal et à les guider vers le bien, association permanente, à extension continue, visant uniquement à maintenir intacte la moralité et opposant au mal ses forces réunies, alors quelques efforts que chacun, pris à part, eût pu faire pour échapper à sa domination, le mal le tiendrait malgré tout constamment menacé du risque de retomber sous son emprise. — Le triomphe du bon principe, dans la mesure où les hommes y contribuent, n’est donc réalisable, autant qu’il nous est permis d’en juger, que par la fondation et l’extension d’une société gouvernée par les lois de la vertu et n’ayant pas d’autre fin qu’elles ; société à qui la raison donne pour tâche et pour devoir de rallier tous les humains à ce règne dans son ampleur ; et cette société, la raison donne au genre humain tout entier pour tâche et pour devoir de la former en son sein. — En effet, on ne peut que de cette manière espérer pour le bon prin-